Lost in Translation par Jean-Baptiste Pollien

Une histoire d'amour, c'est d'abord une rencontre. Elle n'a pas forcement lieu au même moment pour les deux âmes concernées, elle n'a pas la même intensité ou la même signification non plus. Mais cette rencontre fige dans le temps un moment mémorable.

Synopsis tiré de Wikipédia :
" Bob Harris, acteur américain à la carrière instable a été envoyé à Tōkyō, au Japon afin d'y tourner une publicité pour un whisky de la marque de la compagnie de fabrication et de distribution de boissons alcoolisées japonaise "Suntory". Incapable de s'adapter au décalage horaire et à la situation présente, il s'est retiré du monde extérieur en haut de son hôtel, gratte-ciel dominant la ville. Pendant ce temps, Charlotte, une jeune universitaire venue à Tōkyō afin d'y accompagner son mari, photographe et journaliste de célébrités, pour un gala, s'ennuie et se sent seule. Son désespoir s'achève lorsqu'elle rencontre Bob. C'est alors que tous les deux, liés par le même désespoir, vont se lier d'amitié et commenceront à errer dans Tōkyō, la nuit."

Lost in Translation est ce moment suspendu de deux vies en transit. Bob Harris, joué par le dandy désabusé Bill Murray, entrevoit la fin de son monde, sa carrière mourant sur les cotes de la publicité pour whisky et son mariage naufrage dont l'unique ciment sont ses enfants. Charlotte, campée par la ravissante Scarlett Johanson, est à l'autre bout du chemin, le coté où tout commence à peine, un mariage récent et précipité et des envies de métier encore un peu floues.

Perdus à tout points de vue, dans leur vie comme dans leur environnement, ces deux égarés vont apprendre à s'apprivoiser au-delà du schisme manifeste de l'âge, du sexe, de la beauté et de l'expérience. Le décor tokyoïte, prétexte pratique à l'esthétisme sophistiqué des néons, ne fait que souligner le paradoxe de ce couple improbable, à la fois si près et si loin.

Apres un Virgin Suicide artistiquement maitrisé et tout en subtilité, Sofia Coppola récidive avec une œuvre finement polie. L'esthétisme général est impeccable : la photographie chaleureuse capte parfaitement les atmosphères de soirée, les nuits blanches et l'obscurité partielle. La bande originale tape juste, comme le titre Tommib des Square Pushers, utilisé lors d'une séquence contemplative qui résumerait à elle seule le propos du film, ou encore l'imparable Sometimes de My Bloody Valentine, illustrant un retour de soirée arrosée en plein spleen.

Le film distille quelques fulgurances issues du gouffre qui sépare l'archipel nippon du reste du monde occidental. Ce vivier insondable livre pêle-mêle une séance de shooting photo épique où la traduction est réduite à sa plus simple expression, une escort girl à la prononciation tue-l'amour, ou encore un plateau télé hallucinatoire. A ces pérégrinations burlesques incarnée par un Bill Murray clown blanc pas toujours à l'aise succèdent de purs moments de poésie plus féminins toujours soutenus par une BO calibrée.

Lost in Translation trouve une place centrale dans le triptyque dit "de la jeune fille qui s'emmerde" issu de la filmo de Sofia Coppola. Coincé entre Virgin Suicide et Marie-Antoinette, le film cultive lui aussi cette distance avec le spectateur, car ce n'est pas d'eux dont il s'agit. Sur le plan formel, le film commence par un plan fixe sur les fesses de Scarlett Johanson, en petite culotte, allongée sur lit. Les intentions sont claires dès le début : on va parler des fesses de la réalisatrice tout du long. Pris comme un tout, ces trois films en peignent un portrait partiel et pudique, envers qui les hommes ne trouvent pas tout à fait grâce. À l'ennui de la jeune fille répond la lâcheté des hommes, ici incarnation ambiguë d'un père rassurant et crooner de pacotille à la fois. Il y a quelque chose d'à la fois artificiel et d'évident, une histoire intime dans une jungle urbaine, deux êtres que rien ne rapproche mais qui s'attirent.

Que reste-t-il de cette rencontre ? La fille et le vieil homme ne renonceront pas aux reliquats de leurs idéaux, préférant garder le moment comme un objet précieux, un amour de vacance à retardement, où la tension de la frustration finit d'emprisonner le souvenir figé dans le décor surréel de Tokyo. Sans tricher sur ses intentions et en traduisant toute l'ambigüité d'un rapport sans faux-semblant, Sofia Coppola livre avec Lost in Translation une œuvre à la maturité saisissante.

Et si une histoire d'amour c'est d'abord une rencontre, j'ai rencontré Lost in Translation au bon moment.

Chezjibe
9
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le 16 déc. 2010

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