The Social Network par Jean-Baptiste Pollien

La solitude révèle en chacun de nous notre nature profonde. Les tempéraments (auto)destructeurs ou créateurs font alors surface, créant soit une spirale négative de dépression ou au contraire nous hissant en quête de reconnaissance. La quête de popularité est en elle-même vide de sens, car pour aimer les autres, il faut d'abord s'aimer soi-même.

Synopsis tiré de Wikipédia :
"Lors d'une soirée d'automne en 2003, Mark Zuckerberg, véritable génie de la programmation informatique et étudiant de premier cycle à l'université Harvard, s'est assis devant son ordinateur et s'est mis à plancher avec fougue sur une nouvelle idée. Ce qui a commencé comme un déchaînement de programmation informatique dans un dortoir est rapidement devenu un réseau social global et une révolution en matière de communication. Six ans et 500 millions d'amis plus tard, Mark Zuckerberg est le plus jeune milliardaire de l'histoire. Mais pour cet entrepreneur, le succès est aussi synonyme de problèmes personnels et légaux."

The Social Network se veut être une évocation romancée de la naissance mouvementée du réseau social Facebook par Mark Zuckerberg et ses associés d'alors. L'emphase est mise sur les conflits, les poursuites judiciaires et le ressentiment qui nait de l'injustice du vol, justifié ou non. L'isolement semble n'être que l'unique issue de cette course en avant à la popularité.

Ce qui frappe dans ce film c'est l'absence d'amour. Que les relations soient amicales, professionnelles ou sentimentales, le vide remplit les échanges et le froid des sentiments transparait à l'écran par le truchement de l'atmosphère glaciale du campus universitaire, théâtre de la première partie du film. Même le changement de décor pour la chaleureuse Californie n'arrange rien à l'affaire : l'argent et ses enjeux glace les âmes.

David Fincher promène sa caméra dans cet univers verbeux et froid avec une minutie qui frôle le virtuose. Capter l'attention, faire naitre la tension à l'aide d'un habile montage relève du coup de génie. Des scènes à priori rébarbatives et ennuyeuses se révèlent être des bijoux de rythme et de cadrage, dans lesquels les enjeux explicites et implicites sont habilement dévoilés. Les événements ne se déroulent pas de façon chronologique : le réalisateur se réserve le droit d'exploiter l'événement principal de l'histoire pour la fin alors qu'on en voit directement les conséquences quasiment dès le début.

Deux scènes résument à merveille le talent du réalisateur. La scène d'ouverture dans le bar où Mark Zuckerberg expose sa philosophie de vie à sa (bientôt plus) petite amie puis le générique qui s'en suit, et la séance d'aviron des frères Winklevoss en Angleterre. La première résume à elle seule ce dont le film est capable : faire naitre un intérêt de l'anodin. Le générique, muet mais soutenu par la bande son radicalement moderne et efficace de Trent Reznor (oscarisé au passage), illustre concrètement le cheminement du personnage principal dans les méandres de ses réflexions, dans ce campus immense, froid et peu peuplé si étonnamment similaire à son esprit. De cette ballade naitra le phénomène Facebook. La seconde apparait comme un véritable défouloir du réalisateur : elle détonne au milieu d'une mise en scène propre et un peu sage par des cadrages très serrés qui confinent à l'illustration, des profondeur de champs très graphique, un rythme haletant encore une fois accompagné d'une bande-son calibrée... On peut voir concrètement David Fincher se dépenser à l'écran avec les athlètes jumeaux.

C'est une habitude avec David Fincher. Le soin et la minutie apportée à ses différentes productions se ressentent encore dans The Social Network. Cette sobriété classieuse se retrouve en filigrane dans son œuvre à travers l'utilisation parcimonieuse des effets spéciaux. Pas de grandiloquence, ces effets ne sont là que pour servir l'histoire, à la manière d'un Fight Club torturé mais clair ou encore de L'Étrange Histoire de Benjamin Button contemplatif mais hypnotique. Ces touches graphiques supplémentaires (les flocons de neige irréels, les faux "jumeaux" Winklevoss) illustrent bien le goût du réalisateur pour les réalités altérées, et ne doivent pas servir de cache misère à un traitement de l'image soigneux : la photographie est quasi parfaite, tout comme l'éclairage qui ménage systématiquement ses zones obscures à la manière d'un Rembrandt. The Social Network trouve une filiation graphique avec ses glorieux aînés et trouve une place de choix dans la filmographie de ce réalisateur appliqué.

Réaliser un film sur les rapports humaines qui ne traite jamais d'amour est probablement la plus belle prouesse du réalisateur. Les personnages suivent les chemins qu'ils se sont tracés et les plus égoïstes et les plus obstinés obtiennent enfin ce qu'ils veulent. Le film ne peut toutefois s'empêcher d'apporter sa morale, par le biais de l'assistante juridique (la voix des spectateurs) dans l'ultime scène du film, où l'on peut résumer son intervention par "tout ça pour ça ?".

En tout cas pas pour rien : The Social Network est une leçon de cinéma.
Chezjibe
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le 8 mars 2011

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