Certains chrétiens, pour s'installer toujours plus confortablement dans leur rassurante fragilité, aiment à prétendre que le doute est constitutif de la foi et que, pour avoir une foi solide, il est bon de douter régulièrement. Bon pourquoi pas, chacun est libre d'exprimer ses propres bêtises (même le membre si bien dénommé Tonto est libre d'étaler toute l'étendue de son inculture sur SensCritique alors pourquoi pas les autres ?), mais quid du cinéma ? Peut-on douter du cinéma ? Et douter du cinéma peut-il renforcer la cinéphilie des spectateurs aguerris ?
A la première question, la réponse est un grand "oui" sans réserve. Oui, comme dans toute religion qui se respecte, le cinéphile peut, à un moment où à un autre douter du cinéma. Et Sion Sono est là pour nous en apporter une preuve éclatante.
Avec Love Exposure, on se prend à douter du cinéma. Si on commence à donner une caméra et de l'argent (même si, visiblement, ce n'est pas l'argent qui a étouffé cette production) au premier imbécile venu, où va-t-on ?
Outre la carence visuelle extrême de ce film réalisé par un type à qui on a oublié d'expliquer à quoi servaient les différents boutons présents sur l'engin qu'il maniait, il semblerait surtout que Sion Sono ait passé plus de temps de tournage à manipuler sa propre perche que la caméra qu'un inconscient lui a refilé. De masturbation, il sera donc bien question dans Love Exposure, mais celle qui inquiète le plus est bien d'ordre intellectuel et n'est le fait d'aucun des personnages fictifs représentés.
De religion aussi, il sera bien question, d'ailleurs et j'avoue humblement n'avoir pas trop compris pourquoi. Mais là, déjà, je fais l'erreur de supposer qu'il y a quelque chose à comprendre dans ce truc bizarre qui n'est pas un film et qui n'est même pas vraiment du cinéma (à moins qu'on considère comme tel le moment tant redouté où mémé prend le caméscope pour filmer - à l'envers, bien sûr - le petit Tatave qui souffle les 3 bougies couronnant le gâteau au yaourt sans yaourt qu'elle lui a fait).
Peut-être Sion Sono croit-il encore que le blasphème relève du courage, à une époque où, en France, le blasphème a été érigé en valeur républicaine, au même titre que la haine et l'intolérance qui l'accompagnent nécessairement. Peut-être croit-il que c'est un acte courageux que de nous assener des gros plans sur des petites culottes, des émasculations et un gros paquet d'érections subites. Peut-être croit-il que ses spectateurs banderont d'autant plus en l'entendant violer Beethoven simultanément au bon goût. Peut-être croit-il que cela intéressera quelques personnes de nous montrer les premiers émois sexuels d'un attroupement d'adolescents pré-pubères atrophiés du cerveau. Peut-être a-t-il raison, d'ailleurs.
En tous cas, certains ont visiblement cru y déceler une trace d'humour ou d'art, si l'on se fie à une moyenne proprement hallucinante sur un site dont le nom s'éloigne de jour en jour de la réalité.
Ou bien peut-être Sion Sono est-il un homme très raisonnable et très respectable qui ne voit dans l'outil qu'on lui a mis en main qu'un moyen comme un autre de lâcher toutes ses pulsions, de se défouler comme jamais la vie réelle ne lui en offre l'occasion et de réaliser un de ces bons gros délires débiles et régressifs qui ferait (presque !) passer Abdellatif Kechiche pour le Billy Wilder des temps nouveaux.
Après tout, peut-être.
Quoiqu'il en soit, si la nullité était une religion, Sion Sono en serait le prophète (peut-être même le dieu, mais laissons-lui le bénéfice du doute) et Love Exposure son livre fondateur. En tous cas, si l'art est une religion, alors Love Exposure est sans conteste son enfer, un interminable tour infernal (4 heures, ça laisse des séquelles) dans le manège du diable.
Aux Etats-Unis, on l'appelle Cinquante nuances de Grey, en France, La Vie d'Adèle, au Japon, Love Exposure. Peu importe son nom, le cinéphile averti s'en rendra vite compte : c'est toujours le même enfer.