Après le succès de son King Kong (2005), Peter Jackson s’attaque cette fois à l’adaptation du roman de Alice Sebold intitulé La Nostalgie de l’ange (2002). Dans un registre beaucoup plus intimiste que son précédent film, mais aussi des films qui suivront celui-ci, Jackson met en scène un drame familial dans lequel réalisme et onirisme se côtoient, à la manière de son superbe Créatures Célestes (1994). En effet, Lovely Bones nous plonge dans les pensées de Susie Salmon, une jeune fille pleine de rêves, de doutes, et de désirs, avant que ceux-ci ne lui soient arrachés le 6 décembre 1973, jour de son assassinat. Dès lors, Susie va se retrouver bloquée dans une sorte de pré-paradis, qui sera surnommé ensuite « l’horizon bleu », dans lequel elle pourra assister à tous les faits et gestes des proches qu’elle a aimés, mais également à ceux de son meurtrier, qui n’a jamais été identifié par la police. Perchée dans son paradis solitaire, elle sera alors partagée entre deux sentiments contraires : un sentiment de compassion envers sa famille, à qui elle ne pourra plus adresser la moindre parole, et une certaine volonté de vengeance vis-à-vis de son assassin.


Lovely Bones, bien qu’il ait comme un air de film à oscars, avec sa photographie très claire et son utilisation de la voix off, n’a pourtant rien du long-métrage cousu de fil blanc et impersonnel. A partir d’un point de départ passionnant, Jackson parvient à créer une certaine peur, une certaine appréhension chez le spectateur, car le film nous l’annonce dès le départ : le personnage que nous sommes en train de suivre est amené à mourir à un moment du récit. A travers toute la première partie de ce récit, le spectateur, bien qu’assistant au déroulé classique de la vie d’une adolescente assez lambda, reste à l’affût du moindre élément anormal, redoutant le moment fatidique. Et lorsqu’arrive ledit moment, tout est déjà terminé : Susan aura beau se débattre, voire même courir, le spectateur ne se fait pas d’illusions quant à l’issue de cette scène.


La réalisation de Jackson, tantôt assez extravagante, tantôt très sobre, parvient à véhiculer cette impression de terrible fatalité distillée à travers la scène. Le meurtre, en soi, n’est pas vraiment montré, mais tout ce qui précède nous fait bien comprendre qu’il s’agit là d’une rupture dans le récit. Alors que, jusque-là, la réalisation se faisait très dynamique, elle se fait ici plus pesante : la musique s’arrête peu à peu, la caméra tremble, et quelques ralentis viennent agrémenter le tout. Par le simple langage de l’image, Jackson parvient à nous faire comprendre que quelque chose de grave se déroule sous nos yeux. Toute la maestria que Jackson a acquis au fil des années se ressent au fil du long-métrage, qu’il s’agisse des scènes de tensions, ou de celles se déroulant dans « l’horizon bleu ». Personnellement, bien que ces-dernières permettent l’élaboration de plans tout bonnement splendides, j’ai une préférence pour la sobriété des scènes se déroulant dans le monde réel, notamment celle durant laquelle la sœur de Susan s’introduit chez son assassin, véritable exemple en terme de montage et de gestion du suspens, le genre de scène qu’Hitchcock n’aurait probablement pas renié.


Mais Jackson n’est pas le seul à avoir effectué un travail formidable, car Lovely Bones dispose de nombreux acteurs véritablement talentueux. Qu’il s’agisse de la jeune Saoirse Ronan, qui n’a cessé de prouver, depuis ce film, quelle grande actrice elle était, de Mark Wahlberg, de Rachel Weisz ou encore de Stanley Tucci, absolument terrifiant dans le rôle du tueur psychopathe, et loin des rôles auxquels il nous avait habitué. On note également la présence, à la scénarisation, de Philippa Boyens et de Fran Walsh, la femme de Jackson, avec qui elle travaille depuis Les Feebles (1989).


Finalement, Lovely Bones est à l’image même de toute la filmographie de Jackson : généreux, peut-être trop, mais authentique. Si les visuels apportés par les scènes se déroulant dans « l’horizon bleu » peuvent avoir mal vieilli, voire sembler totalement gratuits, le film parvient à se montrer véritablement touchant lorsqu’il s’attarde sur ses personnages, et sur la manière dont ceux-ci gèrent la perte d’un être cher. Là où la mère de Susan semble porter en elle une douleur immense liée à cette perte, le père, quant à lui, préfère se leurrer, convaincu qu’il est de sa capacité à retrouver, si ce n’est sa fille, au moins le monstre qui l’a emmené loin de lui. Chacun aura sa façon d’appréhender le deuil, y compris Susan elle-même, qui sera partagée entre la vengeance et l’acceptation. Evidemment, le dénouement de l’histoire coule de source, et certains pourraient critiquer cette simplicité mise en place en terme de structure narrative, ou encore la voix off de Susie, accompagnant tout le récit, qui s’avère parfois trop descriptive. Mais cette douce parenthèse, dans la carrière d’un réalisateur dont on n’attend aujourd’hui plus que du grand spectacle, peut s’avérer aussi simple qu’apaisante.

SwannDemerville
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le 19 janv. 2021

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