Tebé or not tebé
Nuit. Tisane terminée. Film terminé. Gothic ôte son casque à cornes pour s'essuyer la joue tant il pleure d’admiration. Nomé(nale) quant à elle s'empresse de fuir pour cacher ses larmes de...
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le 7 déc. 2014
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Il est facile de détester Besson. Auteur de films à tendance de plus en plus commerciale, producteur de films d'actions sans âme tout droit sortis d'Europa Corp, il est, et plus particulièrement ces dernières années, une sorte d'épouvantail artistique qu'il est illégitime de ne pas haïr. Je n'ai, personnellement, que de vagues souvenirs du Cinquième Elément et du Grand Bleu, et ma culture bessonienne, si on peut parler ici de culture, s'arrête aux trois Arthur et les Minimoys et à Nikita. Alors évidemment, lorsque Lucy, son dernier film, sortit en salles, ma motivation fut rapidement anéantie à néant, d'abord par la réputation des dernières réalisations de Luc Besson; ensuite par le fait que je ne suis définitivement pas, à en juger mes quelques expériences, un fan de son cinéma.
Mais il faut toujours vérifier ses préjugés, et c'est en suivant un tel principe de vie que je me suis retrouvé confronté à Lucy et ses pauvres 1h20. On y suit une héroïne éponyme qui, suite à l'ingestion d'une drogue de synthèse, va être capable d'utiliser davantage que les 10% du cerveau auxquels l'être humain est ordinairement cantonné. Vous comprenez déjà à quel point le film va être bancal, à partir du moment où l'on voit combien son postulat de base est lui-même instable: il est prouvé scientifiquement que l'Homme utilise bien plus que 10% de son cerveau. Cependant, il convient de ne pas oublier que c'est un film de science-fiction, et qu'il est vrai que c'est un genre qui se veut au-dessus des règles scientifiques établies.
Toutefois, il y a une distinction à faire: ce n'est pas parce qu'un film traite de quelque chose d'impossible que ce film est invraisemblable. Et l'on arrive ainsi déjà à pointer du doigt quelques défauts de Lucy. Car si des films comme Interstellar et même Le Cinquième Elément contiennent des vaisseaux qui traversent des trous noirs ou des taxis volaient, on ne remet pas en question une seule fois leur vraisemblance car ce qu'on voit est crédible, rentre dans la liste de ce que le spectateur peut admettre par rapport à son temps. Dans Lucy, tout tourne autour d'un personnage. La preuve, je ne parviens même plus à me souvenir du nom du professeur joué par Morgan Freeman, et encore moins de celui du capitaine de police français qui accompagne l'héroïne; et cela, principalement parce qu'ils n'ont aucune importance. Et ça n'a peut-être pour le moment pas beaucoup de rapport avec ce que je viens d'énoncer par rapport à la vraisemblance des éléments d'un film de science-fiction, et pourtant: je pense que le secret d'un film vraisemblable, c'est d'abord d'avoir des personnages qui le sont: des personnages logiques dans leur psychologie, dans leurs choix, dans leur comportement.
Et le voilà, le premier gros problème de Lucy. Rien que le fait que ses personnages soient pourris jusqu'à la moelle fausse complètement le film, et tout ce que Besson aurait voulu montrer. Ajoutez à cela le fait que la drogue ingérée par Lucy se révèle surtout être une facilité scénaristique pour rendre l'héroïne badass et pour lui faire tuer des coréens, et vous obtenez un film qui perd encore plus en crédibilité, et encore plus, du même coup, en qualité. Ajoutez à cela les dialogues parfois soit trop mélodramatiques, soit trop ridicules par rapport au contexte, et vous obtenez un film définitivement maladroit dans sa forme.
Si l'on omet de parler des éléments scénaristiques, pourtant, la forme n'est pas si mauvaise que ça. Les scènes d'action de Lucy sont loin d'être ridicules; si j'étais de mauvaise foi, je dirais que vu que Besson ne fait que ça depuis quinze ans, il avait tout intérêt à les réussir. En tant que film d'action, Lucy est presque agréable à voir; en tant que film de science-fiction, on ne retiendra que l'esthétique par moments sympathique mais là encore, bien trop souvent rattaché à l'invraisemblance que dégage le film pour être appréciable.
Par ailleurs, Lucy présente des influences multiples, et pour le moins inattendues: 2001: l'odyssée de l'espace de Kubrick reste la plus probante de toutes.
Que ce soit par rapport aux questions soulevées ou par rapport à comment elles sont soulevées, on revient sans cesse au film de Kubrick: je pense notamment à la scène finale, avec Lucy "le premier être humain", ou encore à l'esthétique de certaines scènes: la froide blancheur de la salle de 2001 reprise dans Lucy, ainsi que les visions colorées du cosmos.
Le problème, c'est qu'une fois qu'on a rapproché ces deux œuvres, Lucy nous apparaît au mieux très vide, au pire très prétentieux. Certes, le schéma proposé par Besson rejoint celui proposé par Kubrick, notamment avec une tentative de dépasser les codes du cinéma dans le dénouement du film, de dépasser les codes mêmes du langage. Et je ne veux surtout pas prendre de haut notre Luc national, mais il me blufferait grandement si l'objet de sa démarche était si ambitieux. Pas qu'il n'en soit pas capable (rien qu'assimiler le film de Kubrick est à la portée de tout le monde), mais ce serait tellement en inadéquation avec le reste du film que ça me conforte dans mon idée que Besson a tourné ces images sans vraiment lui-même comprendre son message.
Evidemment, son message peut être autre que celui de Kubrick, mais dans ce cas-là, je demande à ce qu'on m'éclaire, car je ne vois pas d'autre piste que celle que j'ai évoquée. On est conditionnés, tout au long de Lucy, à des situations illogiques et ridicules: on va donc penser être confrontés à un film d'action. Mais là, les allusions pseudo-scientifiques de Besson rendent le tout presque nanardesque tant il y a un écart entre le message (peut-être) souhaité et le véritable contenu du film.
Est-ce blâmable ? Après tout, Besson se fout de notre gueule en rendant son film soi-disant intelligent et en faisant de la branlette intellectuelle. Mais ça aussi, encore une fois, est-ce blâmable ? Je choisis de lui pardonner, en quelque sorte, parce que même si à l'arrivée c'est un échec, on ne peut pas vraiment lui en vouloir: c'est différent de ce qu'il a fait jusque-là, et ça essaye de transmettre un message quelconque. C'est certes basique, comme avancée, mais c'est une avancée, et on ne peut que la mettre en avant. Et puis, au final, force est de reconnaître que Lucy est un film inoffensif, qui se laisse regarder; certes maladroit mais pas pire que certains autres blockbusters américains. Il ne reste plus qu'à notre cher Luc à continuer peut-être sur cette voie-là, et qui sait ? Peut-être qu'un jour il mûrira et nous offrira des films de qualité.
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le 10 mai 2015
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