N'est-ce pas un peu un vieux fantasme, d'avoir un talent (quel qu'il soit) si aiguisé, ou si matraqué, qu'il devient quasi unanimement jugé d'utilité publique, que l'on en deviendrait presque une sorte d'intouchable sur la scène politique et médiatique.
Souvent je me dis que c'est ce à quoi aspirent les écrivains. Si vous empilez 400 pages de bon sens qui parlent à tous, et/ou que vous créez un univers auquel même (voir surtout) le Goncourt adhère, que vous devenez un peu Dieu le père pour une partie de la population, que vous vous sentez même un peu Dieu le Père dans votre peau, c'est là probablement (si vous êtes écrivains dans l'âme bien entendu) que vos plus grands fantasmes de sous la douche commencent à prendre vie. L'écrivain que vous êtes se met à rêver d'une crédibilité qui ne serait plus jamais à prouver, et cultive en se shampouinant le fantasme de pouvoir donner son point de vue labellisé devant Laurent Ruquier (et par extension devant presque toute la France) sur tout un tas de sujets polémiques inintéressants.
Quoiqu'il y a peut-être une autre finalité à la reconnaissance, ce sont les rencontres et la possibilité d'organiser de beaux projets, à l'écart des projecteurs mêmes... trop d'écrivains, cela dit, se perdent je crois sous les projecteurs de Laurent Ruquier.
Alors nos deux chirurgiens là, Œil-de-lynx et Trapper, ils sont pas écrivains, mais ils ont le talent indispensable de la guerre, le talent prestigieux, celui qui répare les vivants. Dans tout ce charabia, ce grand capharnaüm qu'est l'arrière du front, ils semblent les seuls à détenir un semblant de talent objectivement et positivement utile à la guerre. Un semblant de lucidité même. Tout le monde autour semble s'agiter comme il peut pour se faire sa place dans ce gros bordel. Eux, fantasme du médecin sans frontière, sont indispensables où qu'ils aillent.
Dur de leur reprocher quoi que ce soit finalement… Et ces deux personnages d'utilité publique, forcément, Laurent Ruquier oblige, sont les pachas du camp. Les pachas de l'Asie presque. Ils en jouent, ils savent comment ça marche. Entier et talentueux qu'ils sont ils observent, ils organisent, toujours un coup d'avance qu'on dirait.
Leur fantasme c'est les rencontres, et les situations burlesques. Ce qui les fait bander sous la douche, ce n'est pas la taille de leur propre sexe, c'est plutôt exactement ce que l'on devrait attendre de virtuoses (quelque soit le domaine), une synergie, plutôt qu'une complaisance... quoique leur complaisance existe, mais, provocatrice qu'elle est, devient synergie... plutôt brise-vitrines que lèche-culs.
Après ils ont leurs manières (désopilantes), qui sont toujours critiquables j'en conviens. Mais on a toujours envie de les défendre dans leur constance, c'est insensé, devant ceux qui fantasment en cachette sous la douche et se la jouent irréprochable en vitrine sous l'uniforme.
BONUS:
Petite punchline téléphonique du colonel Blake quand même, qui passe son temps à rouler son fil sur sa canne (à moins que ce soit une maquette je sais pas):
- Colonel, j'ai reçu un message de votre infirmière en chef. Elle porte des accusations que j'ai du mal à croire...
- Alors ne les croyez pas. Merci, au revoir.
Et il raccroche. Voilà comment on discute comme il faut les inutiles ragots.
Beaucoup ri pendant tout le film. Parfois même applaudi.