Critique originale sur le Magduciné


Alors qu’il est déjà en train de tourner son prochain film Matt & Max, huitième en date, le prodige québécois livre enfin Ma Vie avec John F. Donovan, après une longue attente et quelques péripéties. Le film n’est pas franchement à la hauteur de Laurence Anyways ou du très beau Mommy mais pourtant, l’émotion qui se dégage de ce dernier film, dont la dimension presque autobiographique fascine, est d’une grande puissance.


Après une bande-annonce qui laissait présager un certain tournant dans le cinéma de Xavier Dolan à savoir un cinéma plus américanisé, moins poétique, à l’image de son casting très star composé de Kit Harington, Natalie Portman ou encore Jessica Chastain annoncée au départ mais coupée au montage, Ma vie avec John F. Donovan promettait quelques surprises, bonnes ou mauvaises, difficile de le savoir. Plus de peur que de mal, la douceur de Dolan est toujours bien ancrée dans ses images et son histoire. Et ce qu’il présente comme un film qui lui ressemble en mettant en scène un Jacob Tremblay, auquel on identifie l’enfant Dolan immédiatement par son rêve de cinéma et son admiration pour son idole, se révèle être une œuvre plus que touchante. C’est comme si chaque réplique était récitée par le réalisateur lui-même. Des références à Harry Potter aux dialogues avec les mères, en passant par l’homosexualité de ses deux personnages principaux et cette vie de star, l’autobiographie est un peu camouflée mais malgré la fiction, ce sont les sentiments de Dolan que l’on prend en plein cœur. Son enfance et sa construction sont interprétées avec une énorme justesse par l’acteur de 12 ans, révélé dans Room et à qui l’on promet déjà une belle carrière. Cette ressemblance, le cinéaste ne s’en cache pas et l’avoue lui même lors de l’avant-première parisienne durant laquelle il lit une lettre à son public.


On reconnaît à Dolan cet amour de la figure maternelle et ce dernier film ne déroge pas à la règle bien au contraire puisqu’il introduit deux relations de mère/fils. La première voit Natalie Portman élever Jacob Tremblay avec beaucoup d’incompréhension, de non dits et pourtant un si grand amour. La seconde met en scène ces mêmes incompréhensions, toujours révélatrices de cette relation si particulière entre une mère et son enfant, ici interprétés par Susan Sarandon et Kit Harington. Quels duos et quelle direction d’acteurs ! Que ce soit dans une scène de retrouvaille bouleversante mise en musique par Florence and the machine reprenant la célèbre chanson Stand by me, merveilleuse reprise, ou à travers les dialogues bruts mais si vrais de Rupert et John envers leurs mères, ce lien est ancré dans le film comme le septième art en Dolan, et c’est sublime.


Malgré l’émotion intense que provoque le film, il n’est pas sans défaut. Faiblesses que l’on oublie facilement si on laisse parler notre cœur mais petites imperfections tout de même dans le rythme très inégal que l’œuvre propose. Certains moments auraient mérité plus d’intensité, notamment ceux avec Kit Harington, qui s’avère plutôt décevant dans son rôle malgré sa grande présence visuelle à travers ses regards captivants. Dolan veut parfois trop en faire au point de rendre certains plans superficiels voire inutiles dans ce qu’ils rajoutent au fil de l’histoire. Accentuer les émotions, il le fait pourtant très bien mais l’excès mis sur certains points, certains détails et mouvements rend le film parfois peu homogène, dommage quand on voit l’intensité qui se dégage du tout. Ces ajouts assez creux cassent le rythme et ramènent au mauvais cinéma américain, loin de ce à quoi le cinéaste nous avait habitués.


Mais ces petites déceptions sont finalement peu de chose face à l’ensemble plus que réussi autant dans son message que dans sa mise en scène. Le lyrisme et la mélancolie d’une voix off retraçant la relation épistolaire entre Rupert son modèle, base du récit, attachées aux images aux tons chauds sublimes plongent le spectateur en plein dans l’émotion. Du net au flou, la caméra saisit les détails de ces acteurs pour raconter une histoire à la manière de Si Beale Street pouvait parler dernièrement, où les images en disent aussi long que le texte, si ce n’est plus. Accompagné par le travail splendide de son chef opérateur qui le suit depuis Tom à la ferme et les musiques que Xavier Dolan choisit toujours à la perfection, Ma vie avec John F. Donovan est un petit bijou que les passionnés et rêveurs de cinéma doivent chérir. Optimiste et ambitieux, le film critique vivement le monde hollywoodien tout en rendant hommage aux idoles et au besoin précieux et sensible d’en avoir pour se permettre de rêver. Parfois là où on ne l’attend pas avec un générique surprenant sur la ville new yorkaise résonnant sur Rolling in the deep, Dolan ose toutes les utilisations musicales et cela fonctionne à chaque fois. On attendait la scène qui viendrait remplacer celle de On ne change pas de Mommy ou la danse de Léa Seydoux et Nathalie Baye sur O-Zone dans Juste la fin du monde, et bien c’est chose faite car le réalisateur québécois choisit de faire chanter Kit Harington avec son frère dans le film, prenant un bain.


Ma vie avec John F. Donovan n’est peut être pas le chef d’œuvre attendu mais il restera l’un des films les plus touchants de son auteur, à un moment de sa vie rempli de questionnements. Dolan donne à croire aux rêveurs et passionnés, à la manière d’un discours de Lady Gaga aux Oscars, plus rien ne peut arrêter les rêves.

gwennaelle_m
9
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le 25 mars 2019

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