Critique / Cannes : Ma vie avec Liberace (par Cineshow.fr)
La boucle est maintenant bouclée. C’est sans doute ce que Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, a dû se dire à l’issue de la projection officielle de Ma Vie avec Liberace de Steven Soderbergh. Souvenez-vous, 1989, le réalisateur est alors âgé de seulement 26 ans et remporte la Palme d’Or pour son film Sexe, mensonges et vidéo. Un record jusqu’à présent inégalé. Il était donc impensable pour l’organisation qu’il ne soit pas présent à Cannes pour son dernier film (en théorie) afin de tirer sa révérence devant le public qui l’avait lancé il y a près de 25 ans. Présenté en compétition officielle, Ma Vie avec Liberace se démarque des autres œuvres présentées cette année par le format d’exploitation, puisqu’il s’agira en réalité d’un téléfilm et non d’un film destiné pour les salles obscures. Comme d’habitude, Sodebergh s’offre un grand écart après le très bon Effets secondaires et nous livre une œuvre à la légèreté salvatrice portée par deux acteurs en roue libre mais au talent immense.
Le Che, le portrait semi-fictionné d’une call girl campée par Sasha Grey, Kafka, autant de personnalités radicalement différentes mais disposant de possibilités narratives fabuleuses. Soderbergh aime peindre des destins, il n’est alors pas tout étrange de le voir s’attaquer au pianiste extraverti Valentino Liberace, lequel enflammait Las Vegas dans les années 70. Plutôt que de raconter une vie voire une tranche de vie de manière classique, le réalisateur a choisi d’axer son récit sur la relation qu’entretiendra Scott Thorson (Matt Damon) avec la star, une période qui pourrait paraître anecdotique mais qui sert surtout de cadre aux deux acteurs pour offrir des prestations exceptionnelles. On y parle d’amour, d’homosexualité bien sûr, de la différence d’âge, de la célébrité ou même du SIDA. Autant de sujets abordés par le prisme d’une vie hors du temps, hors de toute réalité, le récit se concentrant principalement au sein de l’opulente et très kitsch résidence du pianiste. Ce nouveau Soderbergh retrouve l’image très lissée de ses derniers films, sans effet de mise en scène particulière et privilégiant la narration à l’exercice de style. L’homme qui a déjà tout expérimenté laisse jouer ses acteurs et se suffit de l’environnement très plumes et paillettes pour nous transporter dans leur univers.
Sans juger, il filme avec un plaisir jubilatoire le mauvais gout environnant mais se permet par le biais de dialogues franchement bien sentis une critique amer des mentalités de l’époque (qui ne changent d’ailleurs pas beaucoup d’aujourd’hui), qui imposait à Liberace de feindre une relation hétérosexuelle pour continuer à exercer. Cette notion de contrôle se trouve d’ailleurs au cœur du récit, le contrôle de l’image, le contrôle des autres, le contrôle du regard de ses fans. Liberace est un manipulateur passant avec une aisance folle de l’amant paternaliste à l’homme blasé en quête de renouveau. La personnalité est vieillissante, la lassitude s’amplifie et le besoin de changer de partenaire sera de plus en plus fort. Matt Damon par lequel le film est perçu en fera les frais dans le récit, un narrateur d’abord manipulé avant de devenir particulièrement lucide sur sa condition et celle de son idole (les nombreuses chirurgies esthétiques imposées seront autant d’élément de prise de conscience). Cependant, l’amour quasi platonique pour l’homme et la personnalité ne baisseront jamais. Une nouvelle fois, il est question de sentiments, d’amour véritable et qu’importe le strass oui la grandiloquence générale, cette relation fonctionne et arrive à émouvoir.
Dans les faits, outre une prestation de Michael Douglas sidérante (lui qui sortait à peine de son cancer) qui lui permet de tendre les bras au prix d’interprétation masculin, Ma Vie avec Liberace reste une coquetterie même si elle demeure particulièrement agréable à suivre. Très léger malgré son final franchement émouvant, ce long-métrage pose surtout question quant au mode de financement des films aux Etats-Unis. Avant qu’HBO ne rattrape le projet pour le destiner à la télévision, aucun distributeur ne souhaitaient le produire et ce malgré les acteurs à priori toujours bankables. Le projet n’était certes pas commun mais la qualité du résultat et la performance de cast restent largement au-dessus d’une grande majorité de longs-métrage sortant chaque année.
Projeté en plein milieu du Festival, Ma Vie avec Liberace était un rafraîchissement franchement jouissif. Le dernier film de Soderbergh ne sera pas son chef d’œuvre mais contient en son sein suffisamment d’arguments pour justifier sa place en compétition officielle, quand bien même sa destination principale sera le petit écran. Le réalisateur propose une œuvre sans concession, parfois too much mais une nouvelle fois très riche sur le plan formel qui en fait un divertissement de haut rang. On retiendra surtout deux compositions grandioses, un retour en force et improbable de Michael Douglas qui remerciait en larmes le réalisateur de lui avoir confié le rôle, et un Matt Damon dont la régularité et le talent ne peuvent que forcer l’admiration. Le film sera diffusé le 26 mai prochain sur HBO, vous pouvez dès à présent vous rendre sur le site pour en savoir plus.