Les critiques ont uni leur voix pour chanter les mêmes louanges à Mademoiselle de Joncquières, la dernière création d’Emmanuel Mouret, sa neuvième dans le septième art (Laissons Lucie faire, Caprice...). Le quadragénaire, ex étudiant de la FEMIS, peut se targuer d’avoir fait converger le Monde et le Figaro, Première et Télérama, au moins un instant. Néanmoins, mes sensibilités cinématographiques, si souvent frappées en cette riche rentrée de septembre (BlackKKlansman, Sauvage, Burning) n’ont guère été secouées. A trop vouloir être réaliste, le film s’en éloigne de manière linéaire. « Le mieux est le mortel ennemi du bien » nous prévenait Montesquieu, déjà, au XVIIIe siècle. Coïncidences ?


Promesses
Sur le papier, rien ne prévient de la tiédeur du film. Un casting relativement relevé : Cécile de France (Madame de la Pommerraye), Edouard Baer (le Marquis des Arcis) et Alice Isaaz (Mademoiselle de Joncquières) jouent les protagonistes de ce triangle amoureux. Le marquis promet fidélité à Madame de la Pommeraye, qui accepte, après hésitation. Et comme tout bon libertin, sa parole n’est pas tenue, et les lignes de son cœur se tournent vers Mademoiselle de Joncquières. La position du marquis, à la frontière entre le héros romantique, et le séducteur orgueilleux, dans les deux cas prêts à tout pour son dessein amoureux, aurait pu être intéressante à développer. La première demie heure nous donnes des espoirs d’un Edouard Baer au jeu large, avec une palette polarisée, faible avec la forte Pommeraye, fort avec la faible Mademoiselle de Joncquières. Les espoirs aussi d’une ballade, dans les pièces du château ou les allées des jardins, mais qui se heurtent à une caméra peu mobile, qui ne sert à mon goût que fort peu les intérêts du film. La candeur presque innocente et naïve de la réalisation donne un caractère insipide à un film riche de promesses esthétique et narratives.


Valeur ajoutée

Le but de l’adaptation cinématographique est d’ouvrir d’autres perspectives, d’explorer d’autres horizons afin d’enrichir l’histoire originelle. En somme, la pertinence vient de l’enrichissement de l’œuvre de départ, de choix artistiques assumés. Or on constate qu’Emmanuel Mouret respecte trop sagement le passage du roman philosophique de Diderot Jacques le Fataliste, par souci du réel, respect pour l’auteur, ou manque de créativité de la part du cinéaste. Il en dresse une pâle copie imagée et sonorisée, avec une narration plus sinueuse que l’œuvre originale, et beaucoup trop chronophage. Les musiques jouées au clavecin apparaissent comme un cache misère alors qu’elles devraient nous immiscer, pas à pas, image par image, dans l’univers de la noblesse provinciale du XVIIIe siècle. Emmanuel Mouret connaissait pourtant les difficultés voire l’impossibilité de faire un film d’époque doté d’un réalisme parfait : on peut juste y tendre. Les costumes sont tellement pimpants qu’on a le droit de se demander s’ils n’essaient pas de camoufler un film sans visage, sans corps ni expression. La sagacité de Cécile de France et la justesse de Laure Calamy contrastent avec la nonchalance et la gaucherie d’Edouard Baer que j’apprécie pourtant fort bien. La lisseur film m’a figé sur mon siège rouge du Luminor, distancé par une monotonie abyssale, un décalage temporel et ma place au fond de la salle. En somme, le film ne m’a pas foncièrement déplu mais aurait pu m’enchanter d’avantage avec une originalité plus large. Elle n’est certes pas caution de qualité, néanmoins, ici, même la sobriété du film d’époque sonne faux. Quand un projet filmique, par ailleurs long et couteux sous beaucoup d’aspects à monter, cueille peu, il récolte peu. A part les fruits du regret.

Aymericdt
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le 16 avr. 2020

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