Madre (2017) fut d’abord un court-métrage de 19 minutes qui a été sélectionné à Hollywood. 19 minutes qui correspondent au haletant début du présent métrage. Elena (Marta Nieto) est au téléphone avec Iván , son fils de 6 ans , supposé être sous la garde de son père, mais qui se retrouve seul sur la plage. La séquence se termine sur un angoissant appel au secours du petit garçon. Le court métrage (et donc le début du long) est assez conforme aux films de Sorogoyen, Que Dios nos perdone, et El Reino : sec, nerveux, tendu et très efficace. Du pur thriller qu’on ne dédaignerait pas de voir se poursuivre ainsi jusqu’à la fin.


Dix ans se sont écoulés. Sans qu’on sache ce qui s’est réellement passé avec son fils, on retrouve Elena en France, à l’endroit même où Iván a disparu. Extrêmement amaigrie, elle passe pour la loca, la folle qui arpente la plage tous les jours pendant ses moments de repos, à la recherche d’un fils et/ou d’une paix qu’elle n’arrive pas à trouver. Sorogoyen réussit à traduire son tumulte intérieur au travers d’une mer filmée d’une manière aussi violente qu’esthétique. Cadrée le plus souvent dans un grand-angle lors de ses déambulations sur la plage, Elena est comme avalée par cette mer immense, impuissante face à sa douleur.


On aura compris que le cinéaste a très vite quitté les rives du thriller pour se concentrer sur les douleurs de cette mère inconsolable. La rupture de ton est assez déroutante. Tout le reste du film est en effet bâti sur un mode très intimiste, fouillant les souffrances d’Elena , et lui proposant des pistes pour sortir de son long tunnel noir. Des pistes truffées d’ambiguïté, mais qui permettent à la protagoniste d’avancer un peu.


De fait, Elena rencontre sur cette fameuse plage Jean (Jules Porier), un garçon de 16 ans qui, peut-être, lui fait penser à Iván. Peut-être, car la relation qu’elle noue avec le jeune homme est rien moins que complexe, n’a rien de linéaire, une relation qui prend des tours quasi-incestueux avec un presque inconnu. Une situation troublante. Elena a un compagnon, Joseba (Alex Brendemühl), qui fait véritablement office de nounou, une nounou pétrie d’amour, et l’irruption de Jean dans la vie d’Elena engendre un vrai ménage à trois, alors que Jean est censé faire figure de fils de remplacement.


Contrairement au court-métrage du même nom, Madre, le film, est plus une affaire de femme que de mère. Même si l’origine de son mal-être est la disparition de son fils, Elena a surtout besoin de se reconstruire en tant que femme, et sa renaissance au monde est mise en scène par le cinéaste comme un vrai coming of age adolescent, que la protagoniste vit d’ailleurs avec des adolescents. Tout se passe comme si, de nouveau, Elena apprenait à marcher, à vivre, au contact de Jean. Les « adultes » (son compagnon, les parents de Jean) sont dans un premier temps les chaperons bienveillants et plus ou moins conscients de cette renaissance, pour retourner après dans leur rôle classique.


Madre est un film finalement très différent du court métrage éponyme. Un film beau et délicat qui n’offre pas les réponses sur un plateau. Au spectateur de se forger une idée par rapport à ce qu’il vient de voir. D’autant que, comme à son habitude, il offre une fin très ouverte qui invite à la réflexion et à l’imagination, tout ce qu’on attend d’un bon film, au fond.


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Bea_Dls
8
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le 9 sept. 2020

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Bea Dls

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