Le temps des films d’horreur cultes des Amenabar et autres Balagueró, à défaut d’avoir totalement disparu, est en passe d’être étoffé par celui des thrillers implacables au pays de Cervantes. Après la Isla Mínima (Alberto Rodriguez), thriller très noir sur fond de franquisme, et la Niña de Fuego (Carlos Vermut), un film glaçant et peut-être un peu glacé tous deux sortis en plein été 2015, voici que l’espagnol Rodrigo Sorogoyen nous gratifie d’un très bon thriller : Que Dios nos perdone.


Avec une (bonne) bande-annonce qui ne laisse présager de rien, si ce n’est d’une atmosphère particulière qui peut en effet faire penser à La Isla Mínima, la surprise est donc totale pour le bonheur des cinéphiles. Même si le synopsis annonce « la traque d’un serial-killer d’un genre particulier », il s’arrêtera là, et le spectateur découvre un monde très déroutant, aussi bien du côté obscur que de celui de la Loi, peut-être plus obscur encore du côté de la loi, avec des policiers très ambigus, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce thriller qui sort des sentiers battus.


Prenant place en 2011, parmi les mauvaises années de l’Espagne, ces années de crise qui mettaient ce pays, le Portugal ou encore la Grèce au ban du FMI et de la Banque Centrale Européenne, toutes choses très désagréables mises en image majestueusement par le talentueux portugais Miguel Gomes dans sa trilogie des Mille et une Nuits. Ici, la crise est mise en scène par les habitations sordides où des familles entières vivent entassées, pour 300 € par mois dans des caves sans aucune ouverture extérieure, ou encore par l’occupation de la place Puerta del Sol par les Indignados. Le film s’ouvre d’ailleurs par une jolie scène plus ou moins aérienne de petit matin où les employés municipaux de Madrid nettoient à grands jets d’eau ce qui semble avoir été le lieu d’une de ces manifestations, peut-être en référence au grand nettoyage de la place après l’évacuation musclée desdits indignés avant l’arrivée de Benoît XVI et de la foule des pèlerins des JMJ… C’est dans cette tumulte de la vie quotidienne espagnole, que Javier Alfaro, un policier ultra-sanguin voire violent, mais néanmoins un bon détective, et son coéquipier Luis Velarde, un homme vaguement autiste dans son incapacité à communiquer correctement avec le monde se retrouvent face à un serial killer d’un genre particulièrement sordide.


Le film est un thriller ; le cinéaste ne lésine pas à montrer les crimes, avant, pendant ou après, voire avant, pendant et après, dans des séquences très efficaces et assez violentes qui appellent un chat un chat. Mais il est aussi et surtout une étude des mœurs de ce couple de policiers atypiques, terriblement humains avec des scories bien au-dessus de la moyenne, sans que jamais cela ne tourne à la caricature, et qui distingue ce film de la concurrence multiple et finalement assez peu variée. Alfaro est sous le coup d’un Conseil de discipline pour coups et blessures infligés à un collègue qu’« il ne peut pas sentir », Luis Velarde n’est pas loin du hors-jeu quand il essaie d’une manière très gauche et non moins violente de se rapprocher de la femme qu’il est en train de séduire. Parmi toute cette tension, Rodrigo Sorogoyen n’hésite pas à insérer des petites scènes à la limite du burlesque, devant lesquelles on rit jaune plutôt qu’autre chose, tant l’ensemble est horrifique : l’assassin qui a une terrifiante tête d’assassin, les scènes de crime et les crimes eux-mêmes qui sont filmés avec la crudité qui sont la réalité de tels événements, les policiers qui sont terrifiants d’ambiguïté, tout étant à l’avenant.


Que Dios nos perdone est une très bonne surprise de ce milieu d’été. Filmé d’abord caméra à l’épaule dans la première partie, avec des scènes de la vie quotidienne des protagonistes, il trouve ensuite un rythme peut-être plus classique sans effet de manche dans une deuxième partie, comme pour mieux se concentrer sur le mal et la noirceur ; il s’éloigne en cela de La Isla Miníma qui était avant tout basé sur une certaine ambiance visuelle. En revanche, il est à rapprocher du Se7en de David Fincher sur bien des points, non pas qu’il en soit une pâle copie, mais parce que tout comme dans le film de l’américain, une part importante est accordée à la psychologie des deux policiers et à une étude attentive et réussie de leur relation. Avec sa construction originale que l’on se gardera bien de révéler, sa fin parfaite, son rythme soutenu, l’inquiétante musique du français Olivier Arson, et bien sûr l’excellent jeu des acteurs principaux, Que Dios nos perdone est un excellent film à ne rater sous aucun prétexte.


Retrouvez aussi cette critique sur notre site Cineseries-mag.fr

Bea_Dls
9
Écrit par

Créée

le 14 août 2017

Critique lue 413 fois

Bea Dls

Écrit par

Critique lue 413 fois

D'autres avis sur Que Dios nos perdone

Que Dios nos perdone
Sergent_Pepper
6

Je vous salue mamie.

Il y a mille et une façon de rater un film, dont une, particulièrement ironique, qui consiste à le faire à la suite de trop bonnes intentions. Que dios nos perdone, on s’en rendra compte bien tard,...

le 18 août 2017

33 j'aime

10

Que Dios nos perdone
limma
8

Critique de Que Dios nos perdone par limma

Deux policiers enquêtent sur un tueur en série, violent et macabre, pris entre l'amour de sa mère et la haine des femmes. Par le biais du thriller classique, le metteur en scène espagnol Rodrigo...

le 2 mars 2017

27 j'aime

9

Que Dios nos perdone
Jeannne
3

Que dios nos pardone...esta pelìcula

Un serial killer gérontophile sévit dans la capitale madrilène tandis que la ville, plombée par une chaleur infernale, prépare la venue de Benoît XVI . A la lecture du synopsis cela laissait...

le 16 août 2017

15 j'aime

Du même critique

Tangerine
Bea_Dls
9

LA Confidential

Si on devait retenir une image de Tangerine, c’est celle-là : Sin-Dee Rella ( !), de dos, ses pauvres collants ruinés, ses bottes usées claquant sur le bitume de Los Angeles au rythme d’une...

le 28 janv. 2016

36 j'aime

3

Les Poings contre les murs
Bea_Dls
9

Punch drunk Love

Ben ouais, notre héros abruti de violence s'appelle Love, ce qui ne doit pas être un hasard... Mais revenons à nos moutons, ou plutôt nos brebis...galeuses. Le film, bizarrement appelé les poings...

le 6 juin 2014

35 j'aime

5

Irréprochable
Bea_Dls
9

Les Racines du Mal

Au fur et à mesure que le film avance, Constance (Marina Foïs), l’héroïne d’Irréprochable, héroïne si on peut dire, semble gagner dans sa chevelure blonde (« tu t’es prise pour Catherine...

le 12 juil. 2016

29 j'aime

2