Le moins que l'on puisse dire, c'est que Malcolm X commence très mal. En s'ouvrant sur un discours profondément agressif envers les blancs dans leur ensemble et promouvant la révolte noire dans un contexte bien ségrégationniste, on commençait le film en étant un peu crispé (en pensant qu'on pouvait être un peu trop clair de peau pour apprécier les subtilités du discours). Et pour un début de biopic, c'est un florilège de tout ce qui a le don de m'agacer quand on réalise un film politique : des parcours individuels qui accumulent les mésaventures, ici profondément ancrées dans le racisme (la redondance du mot nègre y est telle, des années avant Tarantino, que l'on finit ici par l'employer couramment, sa connotation politique entretenant l'assurance des militants dans leur estime de leur combat.). Malcolm commence donc par le bas, et sur fond d'un éclatement familial, bousille sa bonne éducation en partant dans le crime avant de finir en prison. Un cercle vicieux classique qui n'a d'intérêt que pour préparer le terrain de la rédemption et de la renaissance, aussi bien religieuse que politique. Et passé cette première heure médiocre, le film prend son envol pour devenir passionnant. Heureusement, il reste deux heures de bobine...


Malcolm X embrasse toute la complexité de son sujet, et surtout, son choix de toujours soutenir le point de vue de Malcolm X (décrié pour ses appellations à la révolte, revendication du droit à l'auto-défense et de la justice pour le peuple des anciens esclaves jamais intégré) l'emmène à de réguliers argumentaires défendant ses points de vue. Et voilà l'ex malfrat qui découvre la satisfaction de l'éloquence et un combat à sa mesure : échanger les rapports de force et revendiquer non pas une assimilation dont personne ne veut à l'époque (du côté blanc comme du côté noir), mais un territoire réservé exclusivement au noirs installés en Amérique (Malcolm X n'amorcera des positions plus ouvertes que dans ses dernières années). Sur fond de séparation raciale, la vision de Malcolm X est de séparer les deux races pour réinstaurer un équilibre et une justice, en allant plus loin que son paternel qui lui, prônait une réémigration en Afrique dans ses prêches (Dieudo et De Lesquen n'ont rien inventé). Il s'agit de nationalisme totalement dévoué à la cause noire, avec les prises de position que cela implique (grande fierté de l'identité noire américaine, dénonciation constante de l'oppresseur blanc qu'il soit actif ou passif, et surtout revendication religieuse). La mise en scène de l'Islam est particulièrement intéressante dans ce film, car elle est constamment revendiquée comme la religion des opprimés (comprendre les noirs et les arabes), et qu'elle est toujours intimement associée à la politique dans les discours de Malcolm quand il rejoint l'Eglise d'Elija Mohammed. Elle fait partie intégrante de la revendication communautaire (nombre de codes communautaires tournés vers l’imitation des blancs sont considérés comme impies), et ajoute une aura mystique au combat durant la grande période politique. Tout en amorçant le dernier grand virage dans l'évolution de Malcolm qui le conduira vers davantage d'ouverture aux autres races (sans revenir sur ses positions nationalistes).


L'Islam est rarement montré au cinéma comme transcendant, ici il est toujours au cœur des convictions de Malcolm X, au point de l'ébranler profondément quand il découvre la corruption de certains de ses membres, et de travailler sa grille de lecture raciale au cours d'un pèlerinage à la Mecque. Cet évènement charnière redonne à la religion toute son essence sociale et transcendante, dépassant le communautarisme pour devenir réellement fédératrice, à une échelle mondiale (l'ambition des principales religions monothéistes). L'expérience est à ce niveau parfaitement communiquée et enrichissante, dressant un portrait évolutif qui tend vers l'inclusion sans jamais remettre en cause son intégrité. Et c'est bien l'intégrité qui finit par devenir primordiale, les tensions au sein de la communauté religieuse et politique du peuple noire devenant peu à peu très hostiles envers Malcolm X. Sans rentrer dans le détail (le film est réellement passionnant à partir du retour à l'Islam et à la politique, et il faudrait beaucoup de temps pour tout décortiquer), le film dresse un parcours intense, humain et intègre, où le personnage parvient, avec sa détermination et son éloquence, à défendre une vision certes ouvertement défiante et hostile à l'égard des blancs, mais galvanisante et fédératrice pour les siens. Cette notion communautaire revient ici avec toute sa force, toute son authenticité : il faut d'abord faire ce qui est bon pour les siens avant de réfléchir au reste du monde, ce qui nous tourne forcément vers une conception nationaliste où chaque population mérite un territoire qu'elle pourrait organiser selon ses propres convictions.


Hommage qui tourne à l'éloge, Malcolm X n'a rien perdu de son impact, il gagne au contraire à être redécouvert à une époque où le multiculturalisme devient une doctrine mondialiste imposée partout et où l'aspect communautaire n'est réduit qu'à du clientélisme électoral ou du lobbying orienté.

Voracinéphile
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le 12 janv. 2018

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