Je vois principalement deux limites à Manifesto. La première, l’absence du nom de l’auteur du manifeste au début au cours de la séquence « l’illustrant ». On me dira que c’est bien tout l’intérêt expérimental de la démarche, qui n’est pas un catalogue de citations destinée aux professeurs de philosophie pour leurs cours en lycée, et qu’une telle explicitation aurait été vulgaire. En ce cas, pourquoi lister au début les noms d’auteurs de manifestes, voire pourquoi intituler le projet Manifesto, si c’est pour réduire la pensée des auteurs à des fragments impersonnels, où ne reste plus que l’intérêt ludique du jeu de piste ? Cela n’ôte pas tout intérêt à un film dont on apprécie l’intéressant travail de mise en scène de ces fragments, mais il me semble que cela empêche d’en apprécier l’ampleur, pour finir sur quelque chose de plus « gadget », voire d’un peu prétentieux, chaque fragment de texte étant assorti d’un concept visuel qui est loin de se réduire à sa mise en images, et veut à tout prix « faire concept ». Un peu d’humilité et d’utilité n’auraient qu’aidé Manifesto à satisfaire, puis à séduire, quand il va trop vite en besogne à chercher d’emblée à impressionner.
L’autre limite, c’est le ton employé pour la diction de ces fragments. Je suis très loin de critiquer le travail d’interprétation de Cate Blanchett, de toute manière guidée par la volonté du réalisateur, mais il y a quelque chose d’absurde à les lire tous (malgré un effort de variété) avec la même énergie grave, la même férocité tentée par le pathos, et donc la même imperméabilité à toute provocation formelle, à toute ironie, à tout humour. Le projet, son rythme et l’interprétation de Blanchett auraient beaucoup gagné me semble-t-il à laisser de la place à des lectures riantes, bon enfant ou sale gosse, à chercher d’autres manières de voir les Manifestes prétendument donnés à voir.
L'exposition résolvait mieux ces problèmes en divisant les manifestes en treize séquences sur écrans distincts, créant une expérience conceptuelle profondément artistique. Le film n'a dès lors vocation qu'à donner un médiocre aperçu de l'exposition à ceux qui l'ont manquée, échouant à trouver en lui-même un autre sens que la monstration du talent (déjà éprouvé) de Blanchett.