Valérie Donzelli n’a pas peur des sujets casse-gueule ; on irait même jusqu’à penser qu’elle les cherche. Après les réussites de La guerre est déclarée et Main dans la main, la critique lui mange dans la main, au point de sélectionner à Cannes ce nouvel opus consacré à la vie incestueuse de frères et sœurs, au début du XVIIè siècle, s’aimant en dépit de tout et le payant de leur vie.
Un programme audacieux, un projet initialement destiné à Truffaut et remis au goût du jour : la partition est alléchante.


On ne pourra pas reprocher à Valérie Donzelli sa frilosité ; elle ambitionne un film lyrique, qui reprend un thème qui lui est cher, l’amour qui s’impose sans qu’on puisse lutter contre lui, et construit une tragédie à grands renfort de musique, de ralentis et de tableaux magnifiant les amants maudits, qui bénéficient, il est vrai, d’une certaine photogénie, surtout pour Anaïs Demoustier dont la présence magnétique parvient à irriguer certaines séquences.


L’histoire est très linéaire, et s’abstient de poser un débat : on ne juge pas, on établit des faits, en accroissant la charge romanesque et mythologique par une distanciation permanente : le récit encadrant dans un orphelinat, des corrections, le regard des parents, de l’église ou de la loi, contrepoints effarés à une évidence hors norme.


Si elle s’en était tenue à cela, Donzelli aurait pu traiter son sujet, et le lester de quelques ambiguïtés dépassant le simple argument de l’amour fou. Mais la cinéaste se pique de nous livrer une fable universelle, et d’expérimenter la forme au profit d’intentions qui, si elles ne sont pas gratuites et vaines, restent obscures. Anachronismes mêlant un roi, des hélicoptères et un micro, plans faussement figés, les acteurs jouant juste à être immobiles, faux raccords volontaires, autant d’élément d’une préciosité visuelle et narrative qui n’apporte rien, et s’accorde à des dialogues souvent ineptes de premier degré.


L’émotion initiale cède donc le pas à l’agacement, l’incompréhension, voire l’embarras : le récit n’est ni touchant, ni universel, et s’effondre sous le poids de caprices qui ne semblent satisfaire que leur instigatrice… qui, si elle continue dans cette course à l’originalité, risque de s’isoler de plus en plus.

Sergent_Pepper
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le 14 août 2016

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