Réalisateur controversé, auteur à part entière, adepte du cinéma horrifique des années 70 avec en tête de liste celui de Dario Argento Pascal Laugier accouche dans la souffrance du bien-nommé Martyrs au crépuscule des années 2000, second long métrage d'une carrière entamée avec l'esthétisé, intriguant mais inabouti Saint-Ange tourné quatre ans plus tôt. Extrêmement discuté et disputé lors de sa sortie en salles Martyrs n'en demeure pas moins un véritable chef d'oeuvre de cinéma jusqu’au-boutiste, vertement critiqué pour sa violence particulièrement explicite et sa prétendue vacuité théorique et thématique... à croire que ses principaux censeurs n'ont pas pris la peine de prêter attention à ce que ledit film se propose de nous raconter, à savoir une véritable histoire d'amour mêlée de mélancolie, de rudesse et de compassion prenant la forme d'un morceau de genre dépassant le genre, horror movie désespérant troquant l'humour, le gore et la farce grotesque propres à tout un pan du cinéma d'horreur pour un sérieux délibérément plombant, une absence de complaisance totale et un propos à la fois très original, audacieux et résolument intelligent.
Avec ses deux actrices littéralement habitées ( incandescente Mylène Jampanoï, vulnérable Morjana Alaoui...), son décor quasi-unique évoquant celui du Ténèbres de Dario Argento, son montage ultra-cut et savamment étudié et son rythme redoutablement soutenu Martyrs réinvente le genre, redéfinit la représentation de la violence pour mieux assumer sa charge anti-système, charge fortement exprimée au gré d'un premier quart d'heure démarrant sur les chapeaux de roues avec en apothéose une séquence de petit-déjeuner familial aux allures de carnage : joutes verbales, violence sociale, traitement parodique... Si l'humour est entièrement absent du métrage cette fameuse scène en reprend pourtant tous les mécanismes, embryon satirique ne laissant en rien présager l'ultra-réalisme de l'horreur à venir...
S'ensuit un deuxième acte purement atmosphérique nous plongeant dans la psyché traumatisée de Lucie ( Mylène Jampanoï ) et nous laissant partager ses visions d'épouvante et fantasmatiques au diapason de son amie Anna ( Morjana Alaoui ), puis un troisième amenant méthodiquement la thèse sous-jacente et conçue par Pascal Laugier. Réflexion sur les motivations de l'être humain à détenir une vérité pré-supposée Martyrs montre, dépèce et met à nu la barbarie pour en faire l'instrument d'une quête métaphysique : c'est terriblement courageux et trop premier degré pour n'être qu'une simple provocation égotiste, suffisamment dérangeant pour mériter que l'on y revienne à deux fois et surtout cohérent d'un bout à l'autre. Ni plus ni moins qu'un choc philosophique absolu, expérience de cinéma haptique ( l'immersion est de ce point de vue totale, qu'il s'agisse de la bande originale, des sons très étudiés et des maquillages méticuleux du regretté Benoit Lestang...) qui ne laissera personne indemne. Rares sont les films d'horreur parvenant à dépasser leur sujet, rares sont les films comme Martyrs de Pascal Laugier. Salutaire et inoubliable.