Pascal Laugier est un réalisateur français qui a été repéré par Christophe Gans (coïncidence, Christophe étant l’un des rares réalisateurs à faire du genre respecté en France), qui lui confie la réalisation du making of du Pacte des loups. Pascal fait ses preuves, et enchaîne plus tard sur une production fantastique classieuse rappelant de belles productions espagnoles : Saint Ange. Un film de fantôme intéressant bien que s’égarant souvent, et au final assez proche de l’ambiance d’un Silent hill. Suffisamment soigné pour qu’on en parle en bien, Pascal nous prend par surprise quelques années plus tard avec un uppercut violent et définitif : Martyrs.

Point n’est besoin de préciser quel raz de marée a provoqué Martyrs, tant pour son extrémisme que pour la controverse sur son interdiction aux moins de 18 ans. L'occasion est donc venue de revenir sur ce classique définitif du cinéma français (dont le remake ricain sortira bientôt), qui brille déjà pour son duo d'actrices. Mylène Jampanoï et Morjana Alaoui livrent une prestation largement à la hauteur du sujet ! Si les deux premières parties donnent complètement dans l’hystérie (les attaques de la « créature » sont violentes et particulièrement intenses), la troisième, avec le calvaire, prend un ton radicalement différent, qui fait l'audacieux paris de donner dans le torture porn en en captant tous les impacts psychologiques (dans les plus précis détails). Une illustration de la folie plutôt convaincante pour sa violence, qui surpasse nettement celle des meurtres envoyés 5 minutes après la fin du générique d'introduction (pour ceux que le cinéma de Xavier Dolan rebute, ils apprécieront le de retrouver dans le rôle du fils de bonne famille). Si ces excès graphiques peuvent sembler un peu gratuits, ils mettent déjà dans l’ambiance. On ne va pas rire avec Martyrs, ça va y aller très fort. C'est cette puissance d'immersion qui prend directement à la gorge, nécessaire pour mettre le public les nerfs à fleur de peau avant d'entamer les réflexions.

Car il y en a un paquet dans Martyrs. Assumant à la fois un refus du manichéisme (les bourreaux pendant leurs horaires de travail et en dehors, on retrouvera cet aspect dans The Secret), une représentation sensible et ultra violente du statut de victime (dont les frustrations prennent ici des dimensions monstrueuses) et généralisant le concept de martyr en dehors de toute pensée religieuse, ce film est un brainstorming pur. Il grouille de thématiques, et en conservant une trame principale relativement simple et apte à développer toutes ses révélations, il offre sans cesse des opportunités d'intellectualiser et de relever le débat. Sur des terrains qu'on voit très rarement de nos jours. Contrairement à la grande majorité des films d’horreur, qui prônent le combat et l’espérance comme étendards, l'héroïne s’effondre peu à peu sur elle-même, arrête de lutter, encaisse les coups et manifeste même de l’affection envers ses bourreaux. Une évolution psychologique parfaitement crédible dans ses différents stades et pourtant encore jamais vue, qui rend encore plus révoltante l’utilisation de cette violence à la fois physique et psychologique, qui semble gratuite. On commence d’ailleurs à voir poindre la thématique dont peu m’ont déjà parlé : le coup violent à la condition de victime, en particulier de leur sacralisation. Une victime est ici la cible de la pire des tortures, pour au final rien du tout (lire le paragraphe décryptant la fin du film). Les victimes sont nombreuses, leur souffrance est palpable, mais beaucoup acceptent leur condition et s’en contentent.

Un déchaînement de violence qui ouvre sur une dimension quasi-métaphysique de la souffrance, où en dehors de tout concept inventé par des hommes, on s'aventure dans l'inconnu façon les Thanatonautes... Martyrs, c'est la richesse intellectuelle doublée d'un premier degré faisant immédiatement mouche. Objet sec, mais sensible (le visionnage est stoïque, la descente sur la musique du générique (Your witness de Seppuku Paradim) de fin panse les plaies et relance la parole du cinéphile). Le film n'a alors plus à rougir de son modeste budget, ou de la pauvreté de certains de ses effets (à vouloir chercher la nervosité, la caméra à l'épaule pendant les affrontements tremble beaucoup), son script fait tout le travail, avec les acteurs qui s'impliquent juste comme il faut.

On peut tout de même revenir sur le final, qui semble en avoir laissé beaucoup perplexes. On assiste à rien de moins qu'un désamorçage, car au stade qu'il a atteint, le film ne peut plus rien montrer. Il a atteint un stade ultime, et il est alors impossible d'aller plus loin sans se casser la gueule (ou alors avec du budget, et encore, Enter the Void n'a pas convaincu tout le monde). Le film était donc forcé de s'arrêter à ce point précis, et la piste qu'il choisit, c'est une intense frustration. Au moment de la révélation, la seule personne à connaître issue fatale... se tire une bastos dans l'heure qui suit. C'est à la fois génial et facile. Car il faut alors interpréter ses derniers mots, qui laissent alors tout le monde donner son avis. Je le vois personnellement comme un renvoi moqueur aux attentes colossales que se fait l'Humanité de l'au delà, alors que la vérité serait bien sûr plus simple. Et plus frustrante aussi. Une dernière remise en doute des certitudes du spectateur, laissant le cerveau bien ouvert pour l'épitaphe tenant du génie. Et une piqûre de rappel sur la vanité de cette quête de l'après vie, vouée à la déception et ne laissant dans son sillage que des victimes brisées, ou ayant accepté leur statut (humanité dépersonnalisée, mais toujours vivante).

Profondément choquant, véritable claque encore plus violente dans son propos que dans sa forme, Martyrs nous a frappé de plein fouet, et a marqué nos esprits à vie. Qu’on ait apprécié le film ou pas (certains le détestent justement pour les raisons que je viens d’évoquer, à savoir l’expérimentation humaine pour des causes perdues), il reste une date marquante dans l'histoire du cinéma français et d'horreur en général, le torrent de bonnes critiques parlant largement en sa faveur. Peu d'expériences humaines se sont révélées aussi intenses sur pellicule, en alliant violence extrême et finalité polémique. Quant à Pascal Laugier, il reste dans le filon, avec l'intéressant mais imparfait The Secret, posant lui aussi une question qui dérange...

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le 1 mars 2015

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Voracinéphile

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