Mary est un film intéressant : acteurs assez inspirés (soulignons à nouveau la performance de l'actrice de Mary, Mckenna Grace, très convaincante), situation et scénario qui retiennent bien l'attention, très belle photographie. Bien sûr, certains ressorts narratifs sont plutôt grossiers, comme l'aventure entre Frank Adler et Miss Stevensoooooon ou simplement les scènes censées mettre en évidence le fait que Mary est surdouée (135*57, cimer l'originalité, tout le monde sait que ça fait 7695 et que sa racine carrée vaut « 87,72 et des poussières »). Le caractère de Mary n'a sans doute pas grand chose à voir avec celui que pourrait avoir un enfant surdoué en réalité : sa maturité déconcertante notamment à quelque chose de dérangeant, qui sonne faux.


Cela n'empêche que le film propose une évolution assez intéressante et ce conflit avec la grand-mère autour de Mary fonctionne bien, parce qu'on se pose les bonnes questions : où est l'intérêt de Mary ? Quels éléments la justice doit-elle prendre en considération ? Quelle place pour le pathos ? Quelle place pour l'assurance-maladie ? Tout cela met assez bien en avant la complexité des cas de gardes, doublé ici du cas d'un enfant surdoué. Et il y a des plans magnifiques : celui avec Mary sur les épaules de Frank devant le coucher de soleil est vraiment cool.


A propos des titres anglais et français, il me semble que les deux se valent, bien qu'ils ne mettent pas du tout en avant la même idée du film. Gifted, en anglais, semble mettre l'accent sur le fardeau, paradoxalement, que constitue son don. Mary insiste sur le fait qu'il s'agit d'une petite fille avant tout. Le choix français est sans doute plus en accord avec le propos du film (ou du moins recouvre-t-il mieux l'intégralité du film). En même temps c'est pas dur, un prénom pour un film qui raconte l'histoire d'une petite fille qui porte, par un heureux hasard, ce même prénom, faudrait être salement mauvais (genre Tommy Wiseau) pour que ça capote. Mais pour distribuer le film, Gifted, c'est mieux. Je m'égare.


En revanche, qu'est-ce que c'est que cette fin ? Frank donne un os à ronger à la grand-mère pendant qu'il emmène Mary vivre avec lui. C'est littéralement ce qui se passe quand il lui amène les recherches abouties de sa sœur Diane, mère de Mary, trahissant au passage ses dernières volontés : Diane ne voulait pas que ses travaux soient publiés du vivant de sa mère. C'est faible narrativement (voire malhonnête) et indigne des enjeux dramatiques mis en place par le film jusqu'alors. Par ailleurs, le film n'a pas arrêté de nous présenter des personnages bien plus complexes qu'un gentil tonton aimant et une vieille grand-mère aigrie et frustrée : plusieurs scènes nous prouvent que Frank a des défauts et que ce que veut Evelyn est aussi dans l'intérêt de Mary. Et la fin c'est quoi ? Ah ben en fait y a que les maths qui l'intéressent et la résolution de l'équation de Navier-Stokes. Et puis Frank va élever Mary « comme Diane l'aurait voulu », mais ça implique qu'il foule au pied ce qui est certainement un de ses plus grands souhaits : ne pas publier du vivant d'Evelyn. On marche littéralement sur la tête pendant ces dernières minutes de film. L'élément perturbateur avec le chat est tout aussi crétin et relève du procédé tire-larmes facile.


C'est donc un film en demi-teinte, avec beaucoup d'éléments très puissants, au premier rang desquels un traitement assez correct d'un sujet pas si simple, mais avec des glissades rédhibitoires. Le film se sabote tout seul, ce qui est quand même un comble quand on sait qu'il donne à Frank cette ligne de dialogue : « Je sais pas ce qui est le pire : concevoir une pompe à eau qui fuit ou la placer là ou personne ne peut y accéder », qui résume bien le bilan créatif de cette œuvre, tout en étant une métaphore du refus de Frank de trouver une famille d'accueil pour Mary : se voiler la face devant une situation trop compliquée afin de ne pas chercher une solution. Frank garde Mary. Le film débouche sur une fin bizarre, assez peu en accord avec le reste de l'histoire ; déjà c'est un deus ex machina, mais c'est surtout une trahison du film lui-même. Concevoir une pompe à eau qui fuit.

Menqet
5
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le 31 juil. 2018

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Menqet

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