Dans l’inquiétante quiétude d’une nature américaine sauvage, au cœur du néant, loin de toute forme de civilisation, s’initie un macabre périple vers l’inconnu, une aventure vers l’effroi, un voyage droit vers les portes de l’Enfer. A l’approche de l’entrée de ce royaume caché, se manifeste une curieuse odeur d’essence, carburant des terribles chaînes du Diable. Alors que le bruit de la machine infernale se met à gronder, seul un retour sur nos pas pourra nous sauver d’un Massacre à la tronçonneuse.


Il est vrai qu’Halloween se fêtait hier soir, mais permettez-moi de prolonger un peu les festivités. Embarqué dans une petite soirée dédiée au cinéma d’horreur avant-hier, j’ai voulu m’attaquer à l’un de ses monuments, au titre dont l’écho se fait entendre bien au-delà des frontières du genre : Massacre à la tronçonneuse. Il faut le dire, bien qu’une certaine curiosité m’animait à l’idée de pouvoir enfin découvrir ce film, j’ai été saisi d’une irrépressible envie d’écrire à l’issue de son visionnage. Car Massacre à la tronçonneuse est, vous en conviendrez, un titre un brin racoleur. Et c’est un choix totalement délibéré de la part de Tobe Hooper qui voulait créer un vrai événement et faire de son premier long-métrage un succès commercial. Mais il va surtout marquer un vrai bouleversement dans le cinéma d’horreur, et dans le cinéma tout court. En pleine Amérique post-Vietnam, fragilisée par l’affaire des Pentagon Papers, à une époque où le cinéma se renouvelle en défiant des années de censure imposées par le Code Hays, le jeune cinéaste vient apporter sa contribution, d’une manière tout à fait originale et révolutionnaire pour l’époque, que l’on qualifiera plus de fondatrice, avec notre regard de la fin des années 2010. Un regard d’autant plus neuf et novateur qu’il lui vaudra d’être censuré durant plusieurs années, notamment en France, la preuve que le jeune cinéaste choque et frappe là où ça fait mal.


D’une certaine manière, le titre du film, Massacre à la tronçonneuse, est assez mensonger. La présence de l’arme, bien que très symbolique, pertinente et mémorable, parfaitement adaptée au développement de l’atmosphère du film, emplie d’air mortifère, est relativement occasionnelle. En réalité, ce que nous propose Tobe Hooper, c’est une exploration des tréfonds de la société américaine, un véritable retour en arrière, aux origines de l’humanité, vers ses aspects les plus sauvages, réanimés par une sorte de dégénérescence favorisée par la marginalisation envers une société toujours plus orientée vers la modernité et les villes. Les liens entre ces deux mondes sont représentés par les jeunes qui partent ici à l’aventure en pleine campagne. Ils discutent de la société actuelle, de la condition des animaux, extrapolent sur la rotation de Saturne, etc. Et l’auto-stoppeur qu’ils trouveront sur leur chemin, bien au contraire, est imprévisible, lié à des valeurs et modes de vie bien plus traditionnels, devenant un véritable étranger pour les jeunes voyageurs, qui, à la place d’un sentiment de curiosité, sont pris par la peur. Nous sommes saisis par cette même peur instinctive, et comprenons alors que nous sommes nous-même en totale rupture avec ce monde reculé.


Dans le discours, Massacre à la tronçonneuse développe un certain nombre d’éléments sur la rupture entre ces deux mondes. Il puise, dans les atouts du genre, cette capacité à sonder les tréfonds de l’humanité, comme le fera John Carpenter dans The Thing, et, d’une autre manière, John Boorman dans Délivrance. Et là où le film de Tobe Hooper est particulièrement réussi, c’est dans son ambiance et dans son effet sur le spectateur. Massacre à la tronçonneuse regorge d’effets visuels marquants, s’amusant à jouer sur les perspectives pour déformer les lignes, usant et abusant des contre-plongées, mais c’est surtout au niveau du son, des lumières et des décors que le film prend une toute autre dimension. La bande-son est très sobre, laissant la part belle aux bruitages, notamment la terrifiante tronçonneuse, élément central de l’incroyable scène de poursuite nocturne, terrifiante à souhait et particulièrement saisissante. Les lumières et les couleurs ont également un rôle très important, avec quelques utilisations très bien senties, notamment une séquence où le père conduit son pick-up et où la lumière, en partie obstruée par les éléments de l’habitacle, n’éclairent son visage que de manière « découpée » et lui donnent un aspect horrifique. Enfin, les décors du film, notamment les intérieurs, sont remarquablement travaillés, remplis d’éléments créant une ambiance particulièrement macabre, nous faisant presque sentir l’odeur de pourriture et de mort à travers notre écran.


Avec Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper fait d’un petit film indépendant, affilié à un genre encore très marginal, un vrai chef d’oeuvre de l’horreur. Faisant partie des fondateurs du sous-genre du slasher, il se permet d’être un film pour les curieux avides de sensations fortes, et de répondre aux attentes en proposant une expérience marquante, appelant à tous nos sens. Parfois presque insoutenable, ce n’est pas un film qui a besoin d’effusions de sang pour provoquer le dégoût. Doté d’une imagerie marquante à bien des égards, incroyablement morbide, il imprime dans notre esprit des images et des sons qui perdurent, créant un vrai traumatisme, ce qui est, finalement, l’objectif de Tobe Hooper. Massacre à la tronçonneuse a tout d’un cauchemar imprimé sur pellicule, mais ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est qu’il est plus proche de la réalité que l’on imagine.

JKDZ29
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le 1 nov. 2018

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