Il était une fois deux frères... Ou plutôt... Un frère et une soeur... A moins qu'il ne s'agissait de deux soeurs, peut être.


Et puis, non. Il s'agissait bien de deux frères, vu que notre histoire se passe dans les années quatre-vingt dix.


Il était donc une fois deux frères qui, pendant une après-midi, dans un petit appartement dont la fenêtre donnait sur un mur de briques, avaient médité sur une supplique du New York Times, qui avait réclamé à Hollywood des films d'action bruyants, stupides et prévisibles (1).


Et soudainement, un éclair de génie frappa l'immeuble, qui aura bientôt pour conséquence de réécrire l'histoire.


Car de leurs cogitations, les deux frères avaient tiré un scénario en forme de bible comic book, histoire de parler le plus simplement du monde aux producteurs les plus bas de plafond. Car cette bible dense et incroyablement détaillée fourmillait d'idées, de concepts, de grand spectacle et de jamais vu pour l'époque.


Les deux frères rencontrèrent bientôt Joel Silver, ce vieux renard avide de films à sensations, et, même en ayant encore Assassins en travers de la gorge, en lui mettant sous le nez leur incroyable inspiration, lui tinrent sans doute, à peu près, ce langage (non traduit) :


˗ You see dude, it's total action ! With the camera in slow motion which is turning around the hero !


˗ Amazing ! It is...


˗ Bullet time !


˗ What ?


˗ ... The name of our special FX shot ! Bullet Time ! Never seen before ! Copyrighted already !


˗ Great ! Money shot ! I like it !


˗ You see there : cyberpunk, anime manga, John Woo, Hong Kong !


˗ And the power of the brain !


˗ Philosophy !!!


˗ And what ?


˗ Give it up Joel and aboule la money : on va cartonner !!!


Les deux frères ne croyaient pas si bien dire. En effet, Matrix, le titre de leur inspiration, révolutionne le genre en imposant de nouveaux canons, un imaginaire science fiction et d'anticipation irrigué des plus folles images, immédiatement sidérantes. Tout en causant de mythologie, de concepts philosophiques parfois poussés sans jamais perdre l'attention de son spectateur, et encore moins de vue son caractère d' entertainment décomplexé.


Tout en imposant un agrégat de références multi culturelles faisant la part belle à tout un pan de l'animation japonaise, ce que les grincheux appelleront sans doute du recyclage ou des influences mal recrachées...


Multiple, parfois monstrueux, voire schizophrène, Matrix réussit cependant la fusion la plus parfaite des antagonismes classiques du cinéma : entre l'action dédaignée, jugée vile par la doxa, et la réflexion qui se garde bien de braconner si près de si bas instincts.


La Matrice est tentaculaire dans son contrôle. S'en détacher est douloureux. Mais les concepts qu'elle brasse, qu'elle bat en brèche, qu'elle combat, qu'elle exalte, sont pour beaucoup dans son succès. Et la fascination qu'elle génère depuis 1999. En abolissant les frontières entre le rêve et la réalité, entre la vie et le virtuel, entre la liberté et l'oppression.


En inaugurant un monde ou tout semble possible, où la pluie tombe avec les mêmes reflets verts que ceux de ces lignes de code traversant l'écran. Un monde où la liberté s'arrache et se crie en s'extirpant d'un cocon, en débranchant les prises de son inconscience, en faisant face à d'incroyables sentinelles mécaniques, ou encore en se frottant à un agent Smith implacable, au phrasé si particulier, dont la malveillance le propulse instantanément au panthéon des méchants les plus illustres du grand écran.


Aujourd'hui, Matrix n'a jamais paru aussi actuel, en ces temps d'hyper connexion, de remise en cause d'une certaine réalité, voire de mise en avant d'un certain complotisme, ni aussi stimulant pour la génération suivante de cinéastes qui continuent de s'acquitter de leurs dettes.


C'est certainement là que réside toute la puissance du mythe : The Matrix still has you.


Behind_the_Mask, à la recherche d'une cabine téléphonique.


(1) Anecdote tirée du livret accompagnant le coffret DVD Ultimate Matrix Collection.

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le 17 juin 2019

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Behind_the_Mask

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