Matrix premier du nom est un film dont on ne mesurera sans doute jamais la valeur. Un film qui est à la fois un diaporama de ce que le cinéma d'action de John Woo a Michael Bay a pu nous offrir de meilleur, des personnages et des plans aussi iconiques que des cases de BD (ce que personne n'a réussi à faire aussi bien avant et depuis), de la philosophie de comptoir absolument fascinante, une auto-critique du phénomène geek, un univers referentiel qui ne s'impose aucune limite de Platon à Street Fighter, bref un miracle. Un pur film cyber-punk actionneur wuxia pian etc..., une mayonnaise comme Tarantino ne réussira jamais à en faire, sans doute le film hybride le plus réussi de toute l'histoire du cinéma. Même les Wachowski ne devaient pas avoir conscience de l'importance de ce qu'ils étaient en train d'accomplir.
Du coup quatre ans plus tard quand Joel Silver les persuade de réaliser non pas une mais deux suites, ils ne semblent pas très bien savoir comment aborder leur histoire. Et on les comprends. Matrix est un film unique, qui n'a besoin ni de suite, ni de préquelle. Car c'est un film pessimiste, austère, froid et brutal qui exprime avant tout un dégoût, le dégout de la déshumanisation contemporaine liée à l'évolution de la technologie. La définition même d'une oeuvre cyberpunk comme Blade Runner ou Ghost in the shell. Cyberpunk. Le mot punk semble avoir disparu dans ces deux suites car ce ne sont plus des oeuvres agnostiques, mais au contraire des films qui parlent de la foi et de la beauté de la nature humaine. On est passé de 'Fuck the World' à 'We are the World', en un film.
Dès le début avec cette scène de danse tribale, on reste bouche bée. Dégoûté. Trahi. Car non seulement ça n'a rien à foutre là, mais elle est abordée de manière incroyablement naive et maladroite. Cela nous permet de savourer des dialogues aussi niais que ceux du magicien d'Oz, Morpheus ressemble à un Hippie défoncé, Neo n'en a plus rien à foutre et nous non plus, l'agent Smith cabotine, et passe la totalité du film à se marrer devant la mise à mort de son personnage, Lambert Wilson nous offre un personnage totalement inutile qui se la pète, Bellucci... vous voulez vraiment que je parle de Bellucci? Quand aux side-kicks, de l'histoire d'amour à deux centimes entre le pilote et sa copine qui attend son retour, au gamin fan de Neo parce qu'il l'a sauvé, ils complètent parfaitement la consternation.
En revanche, visuellement on se gave. De l'hallucinante poursuite sur l'autoroute, au vol final de Neo pour aller sauver Trinity, les frères ne débandent jamais sur la forme. Mais quand dans Matrix, chaque dialogue offrait une nouvelle idée et sonnait juste, ici on a l'impression d'entendre deux étudiants en philosophie bourrés à l'absynthe qui délirent sur le sens de la vie en racontant n'importe quoi. Comme si les Wachowski étaient devenus totalement débiles mais ne l'avaient pas encore réalisé. Qu'on se rassure, cette prise de conscience se fera pleinement quelques années plus tard avec Speed Racer.
