Melancholia est un opéra en deux actes : Acte I – Justine (Kirsten Dunst) et Acte II – Claire (Charlotte Gainsbourg). Deux sœurs, deux planètes, deux entités au caractère différent qui s'attirent et se repoussent. Chacune ayant son propre mouvement dans l'espace, rarement synchronisé, parfois contraire. Pourtant ces deux entités, ces deux sœurs, ces deux actes, ne sont pas imperméables, les blocs ne sont pas clos et posés l'un à côté de l'autre, ils communiquent.

Le film s'ouvre sur le visage et le regard de Justine, ampli de mélancolie et de tristesse. Et sur un mouvement musical lyrique, le Tristan und Isolde de Wagner, enveloppant des plans/tableaux marqués par l'immobilisme. Traduisant une impossibilité d'avancer, de s'extraire du sol. Les personnages sont englués coincés dans des fragments d'espace- temps. L'amour impossible de Tristan et Iseult hante chaque image de von Trier, que ce soit l'amour au sein du couple, l'amour fraternel, l'amour de soi ou l'amour du monde.
Cette ouverture possède sa propre forme. Ces fragments de ce qui viendra plus tard, sont filmés comme des éclats de souvenirs, ou des états mentaux. Dès ces premiers instants pleins de grâce, de tristesse et de beauté, le cinéaste invite le spectateur et le prépare à partager ce sentiment de mélancolie.
L'arrivée du carton annonçant le premier acte joue un rôle de cassure. Tout ce qui suit ne ressemblant à rien à ce que l'on vient de voir. La mise en scène de von Trier bascule complètement. Dans un style proche du dogme, on est désormais agrippé aux personnages et pris dans une sorte de vertige et de fureur, mouvement entrainé par l'instabilité de la blonde Justine.
Un malaise se crée rapidement face aux ruptures et décalages qui interviennent en passant d'un plan ou d'un personnage à l'autre.
Pourtant cet acte s'ouvre également sur un sentiment d'immobilité, d'impossibilité d'aller de l'avant. On y voit Justine en robe de mariée et son époux dans une limousine coincée sur une petite route de campagne. Déjà quelque chose cloche. La scène est cocasse, un peu absurde mais on pressant que quelque chose ne va pas, même si le visage illuminé et rieur de Justine resplendit.
Tout l'acte se déroulera ensuite lors de la soirée de mariage, organisée dans un château appartenant au beau-frère de Justine.
Avant de pénétrer le château, Justine lève les yeux et aperçoit une nouvelle étoile dans le ciel, c'est la planète Melancholia, elle est encore très petite mais ne s'était manifestement jamais faîte ressentir auparavant. « La planète Melancholia est là, elle se cache derrière le soleil » énonce le beau-frère dans le deuxième acte. En effet derrière la façade éclatante et lumineuse de Justine semble croitre quelque chose. Elle travaille dans la publicité et l'apparence et la fausse image, elle connaît.
Cette soirée de mariage durant laquelle se côtoient père, mère, sœur, beau-frère, amis, patron, ... sera ponctuée de prise de paroles, de piques plus ou moins méchantes, plus ou moins acides (on pense à Festen mais le film en est très éloigné). Justine n'est jamais le pivot de cette assemblée. Elle intègre le groupe déjà constitué après coup : « qui êtes-vous ? » demande le majordome, « nous sommes les mariés », et s'en extraira psychologiquement et physiquement au fur et à mesure jusqu'à laisser une place vacante. Durant cette longue séquence de vas et viens turbulents et incessants entre les différents personnages, la frénésie ralentie lorsque les deux sœurs se retrouvent en tête à tête à l'écart du groupe. La droite mais angoissée Claire tentant de retenir sa sœur qui s'évapore et se perd peu à peu. S'abandonnant et abandonnant la soirée, son patron, son mari. La présence de Kirsten Dunst aidant, il est facile de penser aux errances et au spleen de Marie-Antoinette de Coppola dans le château de Versailles.
Ironiquement, volontairement ou non, on pourrait retenir le « What did you expect » de Justine à son mari après lui avoir annoncé quelle renonçait à lui. En effet, quelques minutes avant son patron lui avait donné l'ordre de trouver un slogan durant la soirée, elle semble en avoir trouvé un, à son propre produit, sa libération, quelle vend comme l'explosion d'une bouteille de Schweppes, rafraichissante et éclaboussant à la gueule de tout le monde.
Il y a dans la mélancolie grandissante de Justine, une certaine forme de plaisir mêlée de fascination, à vouloir se libérer de chaines qui la maintiennent au sol, à vouloir rompre avec son entourage trop cadré et étouffant. Tout un sentiment qu'elle parviendra à dompter dans le deuxième acte marqué par sa reconstruction alors que dans le même temps sa sœur et le monde s'effondre.

Le deuxième acte met en avant Claire. Claire face à sa sœur, face à un sentiment de mélancolie grandissant, la planète Melancholia s'approchant, avançant, de plus en plus près de la terre, vers la collision, vers la fin du monde. Alors que Justine se redresse, Claire perd pied. Les deux sœurs ne sont pas sur la même longueur d'onde. A de nombreuses reprises, Claire assène à sa sœur un « sometimes I hate you so much ». Il n'y que durant leurs promenades à cheval que les deux sont en osmose, unies par un même mouvement, celui d'affronter le monde et d'aller de l'avant cote à cote.
L'impossibilité d'aimer.
Impossible de ne pas matérialiser à échelle humaine se qui se déroule à échelle astrale. C'est deux planètes ne sont rien d'autres que Justine et Claire. La Melancholia Justine, fascinante, radieuse, de plus en plus envahissante, asphyxiante, lorsqu'elle se rapproche de la scientifique Terre/Claire. Elle-même, face à cette invasion, est rongée par un sentiment d'angoisse de plus en plus fort, puis de déprime, la mélancolie de l'une déteignant sur l'autre. Malgré les accalmies le choc est inévitable. Une collision, si forte soit-elle, qui ne sera pourtant pas placée sous le signe de la fin tragique. D'une certaine manière, lors des derniers instants, lorsque la proximité entre les deux entités atteint l'infime, quelque chose de nouveau apparaît. La compréhension et l'acceptation de l'autre. Non l'amour n'est pas impossible. C'est souvent vers la fin que l'on s'en aperçoit, lorsqu'il est trop tard, que l'on ne peut plus revenir en arrière. Dans cet ultime mouvement destructeur, Lars von Trier laisse échapper une touche d'espoir, un rayon de beauté et de lumière éclaboussant l'écran. Ce n'est pas la terreur ni la haine qui règne dans les derniers instants, mais un sentiment de paix, un havre magique construit avec des bouts de bois. Si la collision a bien eu lieu, elle aura fait naitre autre chose.
Teklow13
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le 13 févr. 2012

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