Commençant comme un film social que Les frères Dardenne auraient pu réaliser, avec une héroïne en proie à une certaine forme de fracture sociale, Melody est un film aux multiples facettes qui se termine en apothéose dans un maelstrom d’humanité à fleur de peau.


Melody est une jeune coiffeuse à domicile que l’on voit dans la première scène chez une vieille dame. Pour un shampoing et une pose de bigoudis, la vieille dame lui donne près de 100 €, geste généreux qu’elle justifie par son « envie que de bonnes choses (lui) arrivent ». Une jeune femme attachante et gentille donc, que l’on retrouve plus tard de porte cochère en porte cochère, son sac au dos, cherchant visiblement un endroit sûr pour dormir un peu.


Ces premières images s’apparentent en effet beaucoup à certains des films des frères Dardenne pour lesquels le réalisateur belge Bernard Bellefroid ne cache pas son admiration (et qui l’ont aidé considérablement pour son premier court-métrage). Une réalité sociale rapportée sans fioritures, mais suffisamment âpre pour qu’au détour d’une discussion avec une amie, Melody lui rétorque : « Faire ça est moins dangereux que d’être pauvre ». Une phrase qui en dit plus long que certains discours pseudo-pédagogiques sur les conséquences néfastes de la précarité.


Melody veut s’extirper de ce danger, de cette précarité, et envisage d’ouvrir un salon de coiffure. Avec les économies glanées euro par euro chez une vieille dame ou l’autre, elle réussit à mettre une option sur un local déglingué. Pour le reste, sans aucun espoir d’accéder à un prêt bancaire, elle se résout à s’inscrire sur un site de GPA (gestation pour autrui) afin de louer son ventre et faire quelques profits. Très vite, son annonce rencontre preneuse.


Le reste du film raconte la rencontre entre les deux femmes, Melody (Excellente Lucie Debay, star montante belge d’un certain cinéma francophone) qui a la jeunesse et la désinvolture, et Emily (Rachael Blake, actrice aguerrie parfaite dans le rôle à tous les stades) qui a l’argent, et au début du film la condescendance qui va avec. Le propos est de ramener le débat sociétal sur la GPA vers une dimension humaine, étoffée par l’histoire personnelle passée et présente de chacune des deux femmes.


Le spectre des différents sentiments qui animent le tandem est très bien décrit : tout d’abord une sorte d’inconscience et de froideur autour du sujet, comme s’il ne les concernait pas vraiment, ni l’une, ni l’autre. La GPA n’est qu’un objet de transaction marchande, un moyen facile et pratique d’arriver à ses fins. Puis petit à petit, elle sort de ce cadre commercial pour entrer dans la relation intime de deux personnes qui s’apprêtent à partager leur vie et la vie d’un individu en devenir, depuis sa mise au monde jusqu’à son éducation. Petit à petit, leur relation se modifie et s’enrichit. Elles expérimentent tour à tour la méfiance et la confiance, la bienveillance et le ressentiment, la colère et la complicité joyeuse. Tout est amené assez subtilement par Bernard Bellefroid. Melody et Emily sont deux solitudes meurtries qui se sont trouvées, dans une douceur et une sobriété de mise en scène qui éloignent tout pathos, alors même que le scenario est riche en rebondissements plus ou moins théâtraux.


Melody est un film plus complexe qu’il n’y paraît sur la naissance des sentiments, sur la filiation, ou encore sur la question de la responsabilité. Ces sentiments et situations sont comme mis dans un écrin par un sens magnifique du décor, avec des tournages en milieu naturel, la forêt qui entoure la très belle maison de la riche Emily, cette mer qui borde l’endroit où elles sont parties ensemble dans une sorte de kidnapping réciproque, en attendant le bébé, et dans une ambiance mélancolique qui sied au propos. C’est un film poignant composé de plusieurs scènes portées par deux actrices vraiment émouvantes, des scènes sans aucun apprêt qui présentent les choses essentielles : le sentiment d’appartenance, enfin, pour la jeune Melody ; le sentiment d’accomplissement, enfin, pour une Emily qui a pourtant l’habitude du pouvoir de vie et de mort sur les centaines d’employés de sa société.


Rachael Blake confirme ce qu’on a vu d’elle dans Sleeping Beauty, le film de l’australienne Julia Leigh : une actrice peu exubérante qui habite intensément des rôles qui semblent taillés sur mesure pour elle. Lucie Debay, qui a le rôle titre, n’est pas en reste, malgré son plus jeune âge, elle impressionne dans le registre de ce qu’elle sait montrer (et jouer, n’ayant pas eu peur depuis Melody d’interpréter le rôle de Corinne, la femme néo-nazie du « Français » du récent film de Diastème). Elles ont reçu conjointement le prix de la meilleure actrice à la session 2014 du Montréal World Film Festival, ce qui vient valider à raison le travail en commun qu’elles ont fourni sur le film de Bernard Bellefroid.
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Bea_Dls
8
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le 10 juil. 2015

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Bea Dls

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