Une mauvaise caricature "à la façon Dardenne"

Alors c'est certain que vouloir traiter d'un sujet aussi complexe et polémique que la gestation pour autrui est un projet intelligent et sûrement ambitieux. C'est tout à l'honneur de Bernard Bellefroid que de vouloir sortir des sentiers battus pour offrir à la réflexion un thème finalement peu développé en France et en Belgique de par son interdiction. De plus quand la réflexion sur l'éthique peut se doubler d'une approche sociale comme cela est proposé dans le synopsis et dès le début du film alors tout porte à penser que Melody sera un film fort, peut-être polémique, mais de ces oeuvres qui peuvent faire avancer la réflexion plus en avant. Malheureusement pour cela il faut, plus que jamais, savoir réaliser et écrire quelque chose de solide, cohérent et puissant. Or c'est bien là où réside le problème de ce film raté où les erreurs et les défauts à l'écriture et à la réalisation sont tellement nombreux que l'oeuvre entière en est sapée, embarquant toute tentative de réflexion intelligente avec elle.


Melody, d'après la majorité des critiques, est un film "à la façon" Dardenne, ce qui est vrai. Mais à vouloir en copier le style sans le talent, on bascule inévitablement dans la caricature. Tout dedans n'est qu'incohérence, clichés cinématographiques et remplissage dans le but de "faire comme Dardenne". Il ne suffit pas d'avoir un sujet intéressant et intelligent pour faire un bon film, il faut encore savoir le réaliser. Il ne suffit pas d'avoir de bons acteurs et reproduire les codes cinématographiques du film social pour automatiquement être dans le ton, il faut également savoir les diriger, mettre du sens et, c'est le plus important, maîtriser un minimum son sujet.


Le film démarre pourtant plutôt bien avec du rythme et du sens dans les toutes premières minutes. On découvre le personnage principal, sa précarité et sa détermination. Lucie Debay est dans le ton et la scène de coiffure au domicile de la femme âgée est maitrisée, juste et agréable. On s'attend à s'attacher rapidement au personnage de cette jeune femme qui cherche du travail au porte-à-porte, réalité sociale d'une précarité que Bernard Bellefroid a eu le bon goût de mettre en avant. Mais pourquoi ne pas avoir continué? Pourquoi assener un puissant, révélateur et très juste "C'est moins dangereux que d'être pauvre" - ce qui sera d'ailleurs la seule bonne réplique du film - et ne presque plus l'exploiter ensuite si ce n'est à travers le deal et l'ultimatum de l'achat du salon de coiffure qui arrive de nulle part et qui disparaît on ne sait où? A partir du moment où Melody est enceinte, sa condition sociale semble oubliée et ne pèse presque plus dans ses rapports avec la bourgeoise Emily alors qu'elle a été balancée sous toutes ses formes dès le début du film à la limite de l'excès (travail et logement précaires, déplacement en stop, nécessité de contourner la loi, etc.). La scène du pré-achat du salon est d'ailleurs la première grosse incohérence qui va peser sur le reste de l'intrigue. Sans trop savoir ni comment ni pourquoi, Melody s'arrange avec un agent immobilier, pour acheter une ruine qui deviendra avec le temps son salon de coiffure tant désiré, qui lui laisse un ultimatum de 10 jours pour récolter les fonds nécessaires. Bien que difficilement crédible (j'y reviendrai plus tard), la scène avait le mérite de mettre une pression sur la jeune fille et un fil rouge qui aurait apporté du suspens entre ses exigences financières et la réalité de l'entreprise de gestation pour autrui. D'ailleurs c'est bien dans cette optique que semble partir le réalisateur. Pourtant, Melody part immédiatement s'installer en Angleterre, oubliant tout engagement voire tout projet si ce n'est dans un chantage à peine appuyé qui retombe comme un soufflet à la première contre-offensive de la bourgeoise britannique. Après ça, plus rien. Ce qui était LA raison principale du choix de l'héroïne disparait des écrans radar, ce qui est un camouflet terrible pour la cohérence générale d'un scénario.
Passées les présentations et mise en contexte, au bout de 10 minutes, la question de la gestation pour autrui émerge en même temps qu'apparaît tous les défauts du film. En gros, Melody se plante dès que l'on aborde son thème principal:



  1. Le déséquilibre est criant entre le début du film et les 3/4 restant. Si la première partie du film jusqu'à la rencontre avec l'anglaise n'est pas mauvaise car rythmée, tout s'enchaîne à une vitesse qui nous empêche non seulement de digérer la mise en contexte mais également d'apprécier l'enchaînement des évènements. L'histoire semble tellement vouloir se rendre le plus rapidement possible vers le sujet principal du film qu'elle en perd non seulement en crédibilité mais également en compréhension. On sait à peine ce qui motive Melody dans son projet, les personnages ne sont pas présentés ou alors de manière succincte et tout s'enchaîne dans une grossière synthèse de bande-annonce: Melody est pauvre, Melody cherche de l'argent, Melody décide de s'inscrire sur un site de mères porteuses, Melody trouve une femme intéressée, Melody réussit à convaincre cette femme, Melody est enceinte après un voyage en Ukraine... Tout cela en 10/15 minutes montre en main!
    On pourrait alors penser que la suite va garder le même rythme et bien non. L'insémination faite, le film freine brutalement au point de s'étirer longuement pendant plus d'une heure avec très peu de choses si ce n'est du simple remplissage. Les deux femmes n'en finissent pas de changer d'avis, de répéter inlassablement la même chose et de se contredire la minute d'après. La couche de trop est appliquée avec le cancer de l'anglaise, comme s'il fallait rajouter encore plus de pathos à un drame psychologique déjà bien fourni. Certes l'idée d'évoquer le drame de la perte des repères féminins à travers celles des cheveux en plus que de l'impossibilité de procréer n'est pas mauvaise mais dans ce contexte-là c'était réellement vouloir en faire beaucoup trop. Le film bascule du coup, à partir de la révélation de la maladie, dans une sorte de surrégime dramatique qui fusille toute forme de subtilité émotionnelle. Les plans sont d'une longueur infinies car appliquer la lenteur sans y mettre du sens derrière ne fait pas d'un film un chef d'oeuvre d'art et d'essai, ça fait du remplissage inutile et pénible tout simplement, le pire pour un film de ce type et cette ambition.


  2. Ensuite les pires faiblesses du scénario résident sans aucun doute dans le manque de cohérence entre les scènes quand elles ne sont pas carrément sorties de nulle part sans aucune autre forme d'explication ni de lien avec le reste de l'intrigue. Par exemple la scène de Melody au téléphone disant que les tests sont négatifs alors que la scène précédente prouve le contraire est certainement la plus incompréhensible du film. A qui parle-t-elle? Pourquoi mentirait-elle? (Rappelons que Melody a un ultimatum de l'agent immobilier au-dessus de la tête et qu'elle n'a aucun intérêt à gagner du temps) Qu'est-ce qu'est censé nous apporter cette scène par rapport au reste de l'histoire? Mystère. De plus, la scène d'Emily se jetant dans la mer en hurlant son désespoir est à peine plus compréhensible et bascule dans le ridicule puisque ni la réalisation ni le scénario ne tente de nous éclairer.
    Le reste n'est qu'un enchainement d'incohérences dont il serait beaucoup trop long d'en établir la liste. Les plus importantes étant certainement dans l'inconstance des protagonistes qui changent d'avis comme de chemise notamment Melody qui un coup veut garder l'enfant et qui le coup d'après s'affirme dans son rôle de mère porteuse avant de se demander finalement comment elle va assumer cet enfant quand elle apprend la maladie d'Emily. Même incohérence dans la relation des deux femmes qui entretiennent une relation mère-fille quelques semaines après avoir été deux étrangères très distantes que tout opposait avant de se détester dans la scène suivante. Bref une bonne partie du film est une succession répétitive d'incohérences de scènes qui ont peu de liens entre elles et qui entrainent le spectateur vers l'ennui voire l'agacement. Mais le plus dramatique dans tout cela est que, malgré le non-sens et l'incohérence, le film n'en demeure pas moins terriblement prévisible (je suis née sous X + je suis une mère porteuse = je vais regretter mon choix).


  3. Le peu d'intérêt du réalisateur pour les détails met en branle également la crédibilité de beaucoup de scènes. Les situations sont balancées à la figure du spectateur sans explications, ce qui n'est pas toujours un défaut mais qui à la longue porte un sacré coup à la compréhension générale voire à la crédibilité manifeste de certaines situations: les 5000€ cash sortis de nulle part quand Melody gagne péniblement sa vie, la confiance aveugle de l'agent immobilier pour une femme qui a sa vie dans un sac de randonnée, l'appartement "mystère" dans lequel Melody accueille Emily alors qu'elle dormait dans un sac de couchage la nuit précédente, sa fausse fille qui lui ressemble pourtant, le recrutement à la volée dans un pays où la gestation pour autrui est pourtant interdite (Pourquoi aller chercher une mère porteuse aux Etats-Unis dans la réalité s'il y a des candidates en France malgré les interdictions?), la réaction excessive du frère d'Emily à Noël tellement contraire aux moeurs anglaises et qui tombe comme un cheveu sur la soupe, l'effondrement de Melody devant la porte fermée de la chambre d'Emily...
    Bref Melody n'est manifestement pas un film où il faut se poser trop de questions. D'ailleurs ce n'est non plus pas un film où il faut attendre à y trouver beaucoup de réponses également.


  4. Enfin les maladresses de la réalisation à peine masquées à certains moments fait basculer certaines scènes dans le ridicule, notamment la dernière qui est pourtant censée être la plus forte émotionnellement. Réveillée à la suite de sa césarienne, Melody se retrouve seule face à un bébé tout propre et habillé (de 6 mois vu la taille), qui hurle à la mort quand elle le prend. Elle tente alors (péniblement) de sortir un sein pour l'allaiter, la caméra monte sur son visage, les hurlements cessent et Melody fait mine d'allaiter le gosse, la caméra redescend sur ce qui est clairement une poupée pour enfant qui boit de l'air puisque le sein n'est même plus sur sa bouche. En gros cette scène, qui est pourtant censée être le point d'orgue du film, est littéralement ratée mais le réalisateur a choisi de la garder. Allez savoir pourquoi, si ce n'est à cause d'une volonté manifeste de copier un genre cinématographique qu'il ne maitrise pas. Les lenteurs n'ont aucun sens, le drame est surjoué, les gros plans collés à la nuque sont accumulés jusqu'à la nausée et certains effets sont grotesques (le bébé, les plans sur la femme enceinte). Même le titre du film n'a aucun sens: utiliser le nom du personnage principal alors que le film ne tourne pas forcément autour de son histoire personnelle ou sa psychologie propre mais autour du thème de la gestation pour autrui voire de la relation entre les deux femmes n'a-t-il pas d'autres objectifs que copier les frères Dardenne?



Bref Bernard Bellefroid avait un bon sujet à développer avec Melody mais n'a jamais réellement réussi à l'exploiter à cause de ses trop nombreuses erreurs de réalisation et les multiples défauts de son scénario. Le seul bon point reste cependant la prestation de Lucie Debay qui est toujours parfaitement dans le ton et très juste si ce n'est dans un surjeu occasionnel qui n'est probablement pas de son ressort. Au final, Melody est un peu comme le salon de coiffure de son héroïne: peu importe l'espace et le lieu, si des travaux ne sont pas faits et, surtout, correctement, ce salon n'en sera jamais un et sera condamné à rester éternellement une ruine sans avenir. Mais il y avait-il réellement moyen de faire mieux quand les exigences des réalisateurs sont tellement importantes qu'elles viennent s'immiscer dans le scénario au point d'exiger l'utilisation égale du français et de l'anglais ou les lieux de tournage? Pas certain.

BenoitBarbibul
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le 18 févr. 2016

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Benoit Barbibul

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