Alors que les thrillers et blockbusters américains, aussi bons soient-ils, sont toujours plus codifiés, le cinéma coréen, et notamment celui de Bong Joon-ho, vient vous insuffler un élan de fraîcheur. Si la trame pourrait en soit être comparée grossièrement à un film comme Seven, les intentions et l’atmosphère générale du film sont totalement différents de ce que l’on peut ressentir devant ce genre de thrillers.


Memories of Murder, à l’instar de beaucoup de films coréens, est doté d'une atmosphère très évolutive. Il commence en effet comme une comédie noire, dans laquelle on se moque du flic raté et ses méthodes douteuses ; c’est drôle, de rire d’un flic fabriquant de fausses preuves, mais rapidement l’étau se resserre et le film devient tendu, jusqu’à devenir vraiment oppressant sur la fin alors que les meurtres deviennent sérieusement inarrêtables. Ce contraste d’atmosphère accentue le propos du film : l’impuissance de l’autorité.


Directement inspiré de faits réels, Memories of Murder se déroule sur les lieux-mêmes où les crimes ont été commis, d’où le réalisme et la noirceur parfois glaçante que dégage le film.


Le personnage de Kim Sang-Kyung accompagne la progression de l’atmosphère. Il arrive en tant que professionnel, subit la violence gratuite du flic pourri, et fait étalage non sans une certaine assurance de son savoir-faire et son talent. Mais peu à peu, il se rend compte de son impuissance et de son incapacité à stopper l’hémorragie, et toute cette frustration éclate dans un courroux libérateur qui dresse la scène la plus tendue du film.


Sorti la même année que le succès international Old Boy, Memories of Murder fait également preuve d’une démonstration impressionnante de la violence. Les attaques à pieds joints, les tortures gratuites des policiers, la scène de pugilat au bar… Les plans sont le moins possibles coupés, et il en ressort une impression de véracité, d’instant inéluctable, d’autant plus que le casting est toujours vraiment au top, avec un duo de policiers contendants incarnés par Kim Sang-Kyung et Song Kang-ho, ainsi qu’un autre particulièrement hargneux dans le personnage de Kim Roe-ha.


Memories of Murder peut également se targuer de présenter l’une des plus belles fins de l’histoire de cinéma, puisqu’elle ouvre plus des pistes qu’autre chose, avec ce regard-caméra pénétrant d’un Song Kang-ho alors troublant. Difficile de savoir quoi lire, dans ce regard désolé, à la fois perdu et clairvoyant, peut-être accusateur.


Memories of Murder n’aura peut-être pas le rayonnement international de Old Boy, mais il est considéré aujourd’hui comme l’une des premières perles du cinéma coréen, ainsi que l'un des premiers polars modernes coréens, car son style de film d’enquête très sombre inspirera clairement d’autres réalisateurs par la suite, notamment Na Hong-jin avec l’intense The Chaser, également inspiré de meurtres réels, ou encore The Srangers et sa menace insondable.

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le 28 août 2019

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