Men, Women & Children a déplu, ce n'est un secret pour personne. En première position de la liste des reproches, son côté soi-disant moraliste et sa tendance supposée à diaboliser l'Internet, qui lui a nécessairement valu les foudres de la génération Y, un peu trop susceptible dès qu'on s'attaque à son mode de communication chéri. Or non, le dernier film de Jason Reitman n'est pas, comme on a pu le lire à peu près partout, un spot de prévention contre Internet. Ce n'est d'ailleurs même pas vraiment un film sur Internet tout court.


En réalité le film se veut bilan, bilan d'une promesse et de ses résultats. À l'ère de la communication, alors que les distances sont brisées, qu'il est plus facile d'atteindre son correspondant à l'autre bout du monde que son voisin de l'autre côté du palier, nous sommes-nous vraiment rapprochés ? Ces technologies nous ont-elles vraiment aidé à améliorer nos rapports ? Sous la forme d'un film choral, Reitman s'interroge donc plus sur la nature des rapports humains à l'heure où on les dit bouleversés qu'au medium Internet lui-même.


J'ai lu dans une critique, sur ce site je crois, que le film survole son sujet - entendez donc, l'Internet - puisqu'il aurait pu être fait dans les années 70 que ça n'aurait rien changé. Eh bien on tient là pour moi la clé du film : justement, Internet n'a rien changé. Les parents ont toujours du mal à communiquer avec leurs enfants, les enfants font toujours n'importe quoi entre eux et les couples mariés vont toujours voir ailleurs. La morale du film, c'est qu'il faut mieux communiquer, et qu'Internet ou les portables ne sont qu'une solution d'apparat.


Alors évidemment, le film critique aussi les abus liés à Internet, mais c'est systématiquement pour servir le propos. Oui, le porno est trop facilement accessible, et cela crée des problèmes. Mais c'est le refus de Hannah d'en parler qui les entérine. Oui, des gens peu recommandables peuvent raconter n'importe quoi à vos gamins, les pousser à ne plus se nourrir. C'est à vous de vous renseigner sur ce que font vos enfants et de ne pas "aller prendre l'air" quand ils sont sur un lit d'hôpital. Et évidemment, oui, il faut faire attention à ce qu'on montre de nous sur Internet parce que tout le monde peut le voir et que ça peut porter préjudice. C'est là aussi à vous de ne pas diffuser des photos de votre fille en bikini. Le film met d'ailleurs plus l'accent sur ce qui pousse Donna à agir ainsi, sur la relation qu'elle entretient avec sa fille au départ que sur l'influence du medium sur leurs comportements. La conclusion de toutes ces histoires, ce n'est pas qu'Internet c'est mal, c'est que ce n'est qu'un outil et qu'il n'a pas vocation à résoudre des problèmes autrement plus profonds.


Mais attention, là où ces trois histoires semblent critiquer le manque de surveillance, l'excès inverse est aussi condamné. C'est en refusant le dialogue et en coupant systématiquement l'accès à des technologies dont l'utilisation est devenue aussi naturelle pour leurs enfants que manger ou dormir que les parents provoquent le drame. Lorsque Tim s'interroge sur lui-même et sur sa vie, il en vient à s'isoler et Guild Wars est le seul refuge qu'il trouve (avant Brandy). La réalité du dehors n'a pas l'air franchement plus cool vu que ses anciens potes le traitent de connard en lui lançant des canettes. Il n'en a pas non plus arrêté de se laver ou d'aller en cours pour autant. Au contraire, Guild Wars lui permet de rebondir en s'investissant et en faisant quelque chose qu'il aime en s'isolant de son père qui ne cherche de toute façon pas à le comprendre. Bref, histoire classique d'opposition père-fils, et je n'y ai vu aucun pamphlet contre les MMOs.


Quant à Brandy, en voulant lui couper tous ses moyens de communication, sa mère lui interdit tout simplement d'être une ado normale et lui impose un quotidien si pesant que son seul moyen de s'échapper est de se travestir pour poster des photos d'elle sur Tumblr. Là encore, c'est sa mère qui est condamnée et pas Internet ou les portables qui sont un moyen de communication totalement viables et nécessaires. On peut néanmoins y voir une mise en garde contre le flicage que rendent possible ces technologies de communication, mais l'accent n'est pas mis sur cette interprétation - probablement que c'était un thème trop lourd à traiter dans un film déjà assez massif, et j'imagine que c'est plus développé dans le bouquin.
Bref, c'est le refus de communiquer et de comprendre des parents - le père de Tim qui lui enlève Guild Wars et la mère de Brandy qui contrôle son portable - qui mèneront au drame final. Comportements dont ils se repentiront in fine.


Voilà, je voulais juste réagir là-dessus. Après, le film tombe dans les écueils classiques du genre : il survole ses personnages et ses thèmes, a pas mal de problèmes de rythme à force d'aller voir à droite à gauche mais pas toujours à-propos, et manque globalement d'une conclusion à la hauteur de ses histoires. C'est souvent drôle, parfois un peu chiant, un peu pompeux mais toujours très esthétique. Comme d'habitude chez Reitman, j'ai envie de dire.


Et sinon, Rosemarie DeWitt est suuuuper bonne. Du coup, allez le voir. Vraiment.

Arbuste
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le 10 déc. 2014

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Arbuste

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