Home is where it hurts

Jeff et moi, je pense qu'on commence à bien se connaître. L'idylle démarra avec l'immense Take Shelter, qui me révéla Michael Shannon, intensément paranoïaque et désormais acteur fétiche de Nichols (on le retrouve aussi dans le très bon Shotgun stories). J'avais un peu moins goûté Mud même si l'ensemble était loin d'être mauvais.

Grande était ma hâte de découvrir son nouveau bébé, castant une nouvelle fois l'impeccable Shannon.

Malheureusement, si Midnight special présente de grandes qualités, il est traversé de trop de défauts pour être le grand film que j'attendais. Le principal problème : c'est ce que je nommerais son "américanitude". Cet écueil que Nichols était parvenu à contourner dans ses précédentes oeuvres mais dans lequel il se vautre avec un plaisir non dissimulé ici.

Je parle de ces scènes lénifiantes de regards embués, qui se traînent en longueur et dégoulinent par trop de sirop, de ces invraisemblances absolues du scénario (Oh! On fait 4 tonneaux en voiture, on se réveille à l'envers dans l'habitacle, la tronche dans les bouts de pare-brise ? Hahaha ! La première réaction du personnage est de sourire. Non, Jeff, non. Pas toi.)
Pareil, se prendre de sévères balles dans un échange nourri ne permet théoriquement pas de se contenter d'un bout de mouchoir déniché dans le fond d'un sac à main.

Enfin bref : on l'aura compris, je fus agacée par ce virage film d'action à l'américaine totalement irréaliste.

C'est tellement dommage, quand on voit la qualité de la première partie, puis de certains moments à la photographie et à la mise en scène renversantes. Nichols est excelle dans la création d'ambiances énigmatiques, menaçantes, il n'est jamais aussi bon que dans la peinture de personnages ambigus, qui semblent toujours fuir ou craindre quelque chose de terrible et d'imminent.

Le scénario est suffisamment bien écrit pour qu'il ménage son lot de surprises et de singularités. Je lisais que ce film avait été considéré par certains critiques comme un vrai renouveau du genre de la science fiction et c'est vrai : Nichols joue sur des images incroyables, tout en s'appuyant sur des paysages naturels et familiers, en y incrustant des sentiments très intimes, très humains, vraiment bouleversants.

Les acteurs sont tous très convaincants, comme toujours chez ce réalisateur - Kirsten Dunst en tête, parfaite dans un rôle à contre emploi, mettant peu en avant son physique, mais plutôt l'accent sur la sobriété et l'intensité de son jeu. Je l'ai trouvée excellente.

On ne peut qu'être ébloui par les séquences "paranormales", que j'ai trouvées à la fois belles, originales et très impressionnantes : pas de doute, Nichols sait nous embarquer.

La relation père-fils est traitée avec une sobriété qui m'a semblée très juste, et qui offre à ce duo la possibilité d'explorer profondément les liens de confiance et d'amour qui les unissent.

De très bonnes et belles choses donc, des scènes d'action en voiture extrêmement efficaces, des personnages bien campés et attachants, une esthétique superbe... Dommage pour le pathos larmoyant auquel l'Amérique résiste difficilement : un virage ténébreux à la Iñarritu m'aurait semblé tellement plus approprié.

A quelques cheveux du méga coup de coeur.