Impossible de ne pas avoir eu vent, voilà une dizaine d’années, du succès interplanétaire d’une certaine trilogie de romans suédois : Millénium. Avec pour particularité sa sortie à titre posthume, son auteur Stieg Larsson décédant soudainement en 2004, cette petite triplette d’intrigues policières aura eu un tel retentissement que les projets d’adaptations foisonnèrent littéralement : trois films scandinaves, un remake américain, une série, de la radio ou encore de la bande dessinée, tous les médiums ou presque se sont prêtés au jeu.


« Visage » affermissant de son aura, le long-métrage de Niels Arden Oplev partait donc avec un indéniable avantage assorti de l’inévitable piège de la transposition : de prime abord, il semblerait toutefois que celui-ci soit parvenu à ses fins (les deux volets suivants n’étaient initialement pas prévus) en constituant un divertissement solide comme un bouleau scandinave. Nonobstant la mise en lumière d’une Noomi Rapace en devenir, Millénium est un thriller captivant : livrée dans un bel écrin de sobriété, l’enquête de l’improbable duo Blomkvist/Salander nous convie dans les froides contrées d’une blanche Suède teintée de rouge.


Certes, le film aurait pu prétendre à davantage si sa tempérance n’avait pas été aussi austère, l’ensemble n’étant clairement pas à même de marquer la rétine comme les oreilles : à l’instar d’une tension battant plutôt de l’aile, le grand frisson du nord ne nous cueillera donc pas, de rares (mais efficaces) jeux d’ombre ponctuant une mise en scène très sage, heureusement embellie par le cadre unique de sa géographie. À bien y réfléchir, l’intensité de Millénium se corrèle à ses développements privilégiés, surtout centrés autour de ses protagonistes principaux : ceci pour dire que, par voie de fait, son intrigue policière, bien rodée comme sympathique, n’est certainement pas son meilleur atout.


Avec son déroulé sans anicroches jusqu’à la révélation « finale », Millénium n’est ainsi guère mémorable sur le plan de l’enquête pure : le mystère s’éclaircit régulièrement et mécaniquement par strate, tandis que les séquences plus exceptionnelles (l’introduction dans la maison de Harald, puis la confrontation avec vous-savez-qui) ne sont pas loin de faire un flop (le cliché de l’ombre furtive n’est pas en reste). Non, il faut bel et bien regarder ailleurs : au premier plan, le journaliste déchu démontre d’une obstination contagieuse, sa probité et son méthodisme dressant les contours d’un « héros » de l’ordinaire, à sa manière charismatique ; à « ses » côtés, la rebelle traumatisée fait preuve de talents hors-normes, facette visible d’un esprit taciturne car trop souvent malmené, se dissimulant sous un look atypique tenant autant de l’égide que de l’expression de sa personne.


Enfin, au second plan, Millénium dresse un tableau glaçant des sombres vestiges de la Suède nazie, prisme historique forcément indissociable de l’héritage et aura des Vanger : mais tel l’arbre cachant la forêt, et poursuivant dans une veine toujours plus glauque, l’intrigue y adjoindra bien des vices. Nous songeons forcément à ce sombre exercice qu’est le meurtre en série, ultime et extrême matérialisation d’un mal indescriptible, mais celui-ci est polymorphe : aussi, quand bien même le récit en grossirait le trait, les « mésaventures » de Lisbeth sont tout autant à même de prêter à l’horreur, celle qui révolte et révulse, qui marque au fer blanc l’âme et la chair.


Certainement perfectible, Millénium emporte donc notre adhésion au moyen d’un ton pessimiste mais mordant, juste mais vengeur : bien aidé par les prestations irréprochables d’un casting majoritairement inconnu, les coups d’éclats et autres rebondissements (ici aux abonnés absents) n’auraient peut-être guère eu lieu d’être dans pareil décor, justement caractérisé par une atmosphère délicieusement discrète. À l’image de l’apparente tranquillité d’un lac hivernal, les dessous du passé ne sont jamais avares en secrets inavouables et cicatrices indélébiles.


Cette conclusion laisse alors songeur tandis que le dénouement du film, désappointant au demeurant (ses allures de happy-ending jurent), semble trancher avec tout ce qu’il a auparavant ébauché. Le chapitre Vanger étant désormais refermé, il va donc sans dire que la suite des pérégrinations de Lisbeth (et Michael ?) nous enjoint à une franche curiosité.

NiERONiMO
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le 1 juin 2020

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NiERONiMO

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