On pourra bien dire ce qu'on voudra, quel plaisir - mais quel plaisir ! - de retrouver Tim Burton en artisan de l'image, comme on l'aime, le genre minutieux, un peu horloger, qui sait s'emparer de son sujet pour le sublimer en déluges de lumière et en océans de clair-obscur.
Si d'un point de vue formel, le montage souffre parfois de quelques coupes à la hache, ou de raccourcis vraisemblablement nécessaires, le père Tim a léché ses images jusqu'à l'éblouissement, même (voire surtout) dans ses plans les plus ténébreux.
C'est beau, mais c'est beau, mais alors qu'est-ce que c'est beau ! Même quand c'est hideux jusqu'à la nausée, c'est un régal pour l'oeil (no pun intended), de la Floride en emballage de bonbon fantaisie à l’Angleterre pluvieuse en quasi-bichromie, le bonhomme est dans son élément et ça ne fait aucun doute, il est heureux d'être là. Il ne prend pas de risque, il fait ce qu'il sait faire. Mais il le fait mieux que personne et c'est tout ce qu'on attendait de lui.
Loin du chaos débilitant d'un Dark Shadows, Miss Peregrine s'impose comme le film pour enfants le plus glauque, le plus noir, le plus complexe et le plus jouissif dont les laissés-pour-conte de cour de récré pouvaient rêver. Là où, trop souvent, la concurrence étale son peu de matière première pendant des heures longues comme des jours sans pain-au-chocolat-à-15-centimes, ce vilain petit canard qui s'assume condense en deux heures une foultitude d'idées géniales qu'on aurait, a contrario, voulu voir développées bien au-delà de ces 127 minutes. Rien que le personnage de Miss Peregrine, sorte de Sherlock métamorphe et sexy en diable, aurait mérité d'occuper le centre de la scène, voire la scène toute entière, dans un film rien qu'à elle. Et que dire, encore, de cette séquence d'action jubilatoire, où le réalisateur rend un hommage vibrant à l'une de ses idoles, allant jusqu'à donner à ses CGI l'apparence de... mais chut, j'en ai déjà trop dit !
Pas étonnant, alors, que la 3D y soit si accessoire, réduite à sa plus simple expression : le père Burton s'en fout, il fait sans, et ma foi, il a bien raison. Son film n'est qu'en 2D améliorée et c'est tout aussi bien comme ça.
Si son public-cible a perdu trente balais, il ne le ménage pas pour autant, au mépris des classifications en vigueur, alignant les visions d'horreurs et les slendermen tentaculaires à vous traumatiser du môme pendant quinze ans, envisageant son divertissement tout public comme une incursion contre-nature de la Hammer dans le registre Piwi.
Rien de nouveau sous le soleil de ce conte initiatique dédié aux parias, aux petits gros, aux trop transparents, aux légers comme l'air et aux asociaux dans l'âme.
Mais la générosité des images, alliée à l'inventivité de l'emballage narratif, permettront aux déçus d'hier de renouer enfin avec celui qui, longtemps, fut pour eux un modèle, un exemple, un pote et, surtout, surtout, un très grand réalisateur.
Si Burton ne fait ici qu'illustrer le récit d'un autre, on pourrait croire sans peine que cet autre l'a écrit pour lui, ou qu'ils ne font qu'une seule et même personne, tant le fond et la forme s'accordent à la perfection.
Avec, dans les traces d'une Helena Bonham Carter ou d'une Christina Ricci, les traits fantomatiques, rêveurs et tristes, d'une Ella Purnell plus Burtonnienne que nature.