Andor
7.4
Andor

Série Disney+ (2022)

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Puisqu'on est entre nous, j'ai un aveu à vous faire : au départ, je ne voulais pas regarder Andor. Après avoir tourné la page Obi Wan, et usé de toute ma bienveillance partisane à lui trouver des qualités (qu'elle a, mais pas que), j'estimais avoir fait le tour de ce que Disney avait à m'offrir en matière de séries Star Wars, tout comme j'ai lâché les séries Marvel après Moon Knight pour des raisons similaires (bien que d'un point de vue qualitatif, Moon Knight se rapproche davantage du naufrage Book of Boba que d'Obi Wan, entendons-nous bien, on ne pouvait rien en sauver).

Pour le dire de façon moins contournée : j'étais arrivé au point de saturation. Ras-le-bol de ces séries copiées-collées pensées comme des produits d'appel, bourrées de fan-service déblitant, de scénarios minimalistes, incohérents, à peine plus étoffés qu'une quête Fedex en monde ouvert de 2010 ; et si Obi avait su trouver grâce à mes yeux en proposant quelques jolis moments de vrais dialogues, et de belles retrouvailles avec deux acteurs iconiques (plutôt qu'avec leurs personnages), force était de constater qu'on avait comme une impression de déjà vu. Revu. Et rerevu.

Impression qui persiste avec le premier arc d'Andor, ses ventes de pièces détachées et sa Tatooïne bretonne, mais tend à s'estomper à partir de l'épisode 4, même si on reste en terrain narratif connu.

Et donc il a fallu que ma compagne insiste pour que je donne sa chance à cette série. Et comme ce que femme veut, dieu veut, je n'ai pas trop bien eu le choix.

Bien lui en a pris, elle avait raison d'insister : après avoir bougonné un moment dans un état de scepticisme passif, j'ai rapidement été très agréablement surpris par la qualité de la réalisation, la plasticité des images et l'élégance des dialogues, finalement assez commune mais très supérieure à ce que nous avait proposé le Mandalorien et Boba (ou même la postlogie et ses films intermédiaires, d'ailleurs - Rogue One compris). Une fois de plus, on avait déjà vu ce genre d'intrigue mille fois dans mille autres contextes, c'est de l'Agence Tout Risque, c'est de la Casa del Papel, mais sa transposition dans l'univers Star Wars avait un côté exotique, rafraichissant, pile ce qui manquait ces temps-ci à la licence (ou aux séries d'action en général). Non seulement ça, mais l'absence quasi-totale de fan service gratuit ne pouvait que m'inspirer un soulagement profond, et durable, doublé d'un vrai sentiment de libération. Parce que je ne m'imagine pas l'espace comme le rayon Funko Pop d'un Micromania, ou la finale du concours de cosplay du Comic Con.

Depuis, la série n'a cessé de se bonifier, s'offrant le luxe d'à côtés aussi inattendus qu'appréciables (le double jeu de Luthen, le quotidien de Mon Mothma, celui de Syril...), tout en nous épargnant les raccourcis grossiers et les incohérences qui vont de pair, si bien que chaque nouvel épisode paraît passer en un claquement de doigts, en dépit de certains errements ou de l'interprétation relativement tâtonnante, parfois (Diego Luna n'ayant rien d'un grand acteur, mais livrant néanmoins une performance plus convaincante que son homologue en père célibataire d'une insupportable bouillie de pixels verdâtre ). Non seulement ça mais dans ses détails techniques, ses décors, ses costumes et coutumes, elle se montre étonnamment respectueuse du lore développé dans le jeu de rôle officiel (entre autres), ce qui n'en est que plus réjouissant pour les connaisseurs.

Et donc, chaque semaine, ça ne pouvait pas y couper, je redoute un peu plus le moment où la série va se planter dans les grandes largeur, comme Obi Wan et son effroyable épisode d'infiltration, tout en priant la Force pour que ça n'arrive pas, ou le plus tard possible.

Je ne voulais pas particulièrement écrire un retour sur la série non plus, à vrai dire, mais l'avalanche de critiques négatives sur internet m'a donné envie de prendre sa défense, non pas parce qu j'y suis sentimentalement attaché, elle me tient à cœur, mais égoïstement, parce que ces réactions de rejet nous présagent un avenir sombre en matière de séries de divertissement. Vingt années à se faire ramollir le bulbe par des blockbusters hystériques dénués de substance et une technologie portable toujours plus aliénante ont fini par porter leurs fruits : pour être populaire, une production de genre doit ressembler à une grille de Candy Crush. Il faut qu'il y ait de la couleur partout, il faut que ça clignote, il faut que ça bouge tout le temps sinon le spectateur lambda s'ennuie et retourne à son téléphone pour voir si Jean-Kévin a répondu à son "wesh bien ou bien ?" d'il y a cinq minutes (question d'une importance cruciale dont la lecture de la réponse, forcément tout aussi profonde et pleine d'enjeux, ne peut désormais plus être différée le temps d'un épisode - mais ça n'inquiète personne en général, et pas les usagers en particulier...). Il faut que ça coure, il faut que ça pète, il faut que ça twiste toutes les cinq minutes sinon c'est du Derrick, et surtout il faut que les enjeux soient cosmiques, qu'on ait plein de créatures rigolotes, des vaisseaux qui font piou-piou, des super-héros dans les premier rôles (parce que Luke Skywalker tel qu'il est présenté dorénavant, dans le fond, c'est un perso Marvel, et le Mandalorien un perso DC, ils n'ont pas les collants fluo mais au fond ça revient au même, ils fonctionnent narrativement de la même façon en fonction des mêmes codes et pour les mêmes effets), le spectateur veut pouvoir s'identifier, et il veut s'identifier à un personnage aussi exceptionnel que lui (ou disons : qu'il pense l'être, la plupart du temps à tort. Merci, les productions Young Adult, qui exploitent le filon depuis des lustres en charlatan de bas étage), donnez-lui des persos humains, avec leurs failles, leurs doutes et leurs contradictions et il partira voir ailleurs - mais faites-lui apparaître un Luke ou une Ashoka de façon totalement gratuite, dans des scènes vides de sens, qui ne servent qu'à nourrir les bandes annonces et vendre de l'abonnement par packss de douze, et vous serez porté en triomphe jusqu'au sommet des charts. Les dialogues ? On s'en fout, c'est chiant, il se passe rien. La caractérisation des personnages ? On s'en fout, c'est chiant, il se passe rien (et en plus le héros c'est moi alors quelle importance ?). L'ambiance ? La tension ? On s'en fout, c'est chiant, il se passe rien. Le rythme n'est plus une question d'accélérations et de ralentis équilibrés avec soin, mais une alternance entre le vite et le très vite, du bruit, de la fureur, et tant pis si le récit est creux et bancal, on s'en accommodera du moment qu'on claque noir de thune dans les effets spécieux (big up aux Anneaux de Pouvoir, un modèle du genre).

De sorte que j'ai peur pour l'avenir du divertissement populaire, qu'il se réduise à cette seule superficialité, cette hyperactivité permanente, dépourvue de matière, artistiquement pensée comme une pub pour yaourts au bifidus, sans plus ni fond, ni autre finalité que d'être binge watchée entre deux parties de Candy Crush, donc, et oubliée dans la foulée pour faire de la place à la production suivante.

Bien que le mouvement soit déjà lancé, et que tout retour en arrière paraisse désormais impossible, il est heureux que des petites séries qui ne paient pas de mine s'offrent le luxe d'aller à contre-courant, et de s'accrocher tant bien que mal à un standing d'écriture d'un autre temps. Hélas, chaque nouvel échec commercial sera appelé à en réduire le nombre, et cet Andor attendu au tournant ne fera malheureusement pas exception, dissuadant les producteurs de mettre leurs billes dans d'autres projets du même acabit, et ainsi de suite, et ainsi de suite. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que de la bouillie sérielle à se mettre sous la dent, dont on nous gavera jusqu'à satiété en nous la fourrant dans le bec avec un entonnoir, pour nous engraisser intellectuellement comme des canards en période de Noël.

Ce n'est pas de la Science-Fiction, ça.

Ce n'est pas de la dystopie.

ça a déjà commencé.

Et le pire, dans tout ça ?

C'est que nous payons pour.

Ce que raconte Andor, finalement et malgré elle, c'est une résistance dans la résistance, face à un Empire audiovisuel que rien ne peut plus ébranler, et peut-être n'est-ce pas un hasard si l'argent est ici au cœur de tous les enjeux, si loin des midichloriens d'antan et des sabres lasers. Si proche de nous. Si proche d'elle-même, en sa qualité de produit. Avec tous les profils de créateurs : le mercenaire, l'idéaliste, la bleusaille, l'opportuniste, et les réunions d'actionnaires pour leur damer le pion, au sein d'une société où tout doit être lisse et où l'ordre doit régner dans l'indifférence générale.

Aussi, peut-être qu'au-delà de son décorum pompier, forcément escapiste, la série est à considérer comme une forme de mise en abyme ?

Ce ne serait pas là le moindre de ses mérites, si subconscient qu'il fût.

Et quant à la trouver soporifique, ceux qui ont vu le They Live de John Carpenter seront en droit de se demander si a contrario, ils ne dorment jamais tant devant leur écran que lorsqu'ils se sentent éveillés (comprendre : lorsqu'on les maintient réveillés, le verbe est essentiel).

En tout cas, force est de constater qu'à l'autre bout de la chaîne de production, tout est mis en œuvre pour.

Ce qui, en ce qui me concerne, donne envie d'aimer Andor davantage. Et d'espérer très fort que d'autres sauront suivre son exemple, contre vents et tendance.

Et vive la Résistance.

Liehd
9
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le 31 oct. 2022

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Liehd

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