Mister Babadook appartient à une catégorie de films assez rares, audacieux et donc très intéressants : il commence par décevoir, un peu, puis beaucoup. Le spectateur est frustré, qui plus est si l'on prend en compte le mini-buzz entourant le film. Puis, dans les derniers instants, l’œuvre saisit le spectateur : ce dernier comprend que le film qu'il vient de voir n'est pas ce pour quoi il pensait être venu. Ah le con !

Jusqu'aux derniers instants, je me suis trompé sur la nature du film. Bon, ce n'était pas vraiment de ma faute : en plus du festival qui a fait sa réputation (Gérardmer – quelle classe ce nom), la campagne marketing n'y va pas par quatre chemins : vous allez faire pipi dans votre pantalon, mécréants !

Avant cette avant-première, la réalisatrice Jennifer Kent nous avait pourtant prévenus : « je suis peut-être la seule, mais je vois Mister Badabook comme une histoire d'amour » (la présence des guillemets n'est pas contractuelle). Opinion sans doute respectable mais vite oubliée dès le vrombissement menaçant des hauts-parleurs et l’atmosphère angoissante du début du film, qui allait s'intensifier petit à petit.

S'intensifier oui, mais par des mécanismes fort décevants. Au delà d'une réalisation soignée et d'un duo mère/fils tout à fait remarquable, la première heure du film ne m'a pas surpris une seule seconde. Les ressorts scénaristiques et les mécanismes pour provoquer la peur sont vus et revus. À vrai dire, il s'agit moins de peur que d'un stress provoqué par l'effet combiné d'un son puissant et de quelques jump scare, en bref : la solution de facilité.

Les références au cinéma d'épouvante sont légions : Shining, Freddy, Répulsion, l'Exorciste… Il y en a tellement que je n'ai pu y voir qu'un manque d'inspiration. Si c'était cela le fleuron du cinéma d'épouvante moderne, moi qui m'y intéresse rarement (non non j'ai pas peur), je me trouvais fort déçu.

La vérité m'est apparue dans le dernier quart d'heure du film. (Là, vous devriez sans doute arrêter de lire si vous ne l'avez pas vu. Je ne spoilerai pas l'histoire, mais quand même. Et du coup, même si j'en ai pas dit beaucoup de bien jusqu'ici, allez le voir quand même hein ! Oulah, faut que je retourne à ma critique).

Mister Bababook n'est pas un film d'horreur, que nenni, il s'agit d'un drame. Le drame d'une femme qui doit surmonter la mort de son mari tout en élevant son enfant. Qui doit tourner la page quand tout lui rappelle feu son aimé. Cet élément d'intrigue, présenté assez tôt dans le film, ne me paraissait qu'être un prétexte à certains éléments : au fait que la mère ne vive qu'avec son fils par exemple, ou que ce dernier ait une relation difficile avec ses camarades, car il n'a pas de papa. Bref, c'était une donnée comme une autre.

Mais non, palsambleu ! C'est bien l'histoire de ce deuil que Jennifer Kent nous raconte, et aucune autre. Il s'agit du thème principal, autour duquel tout gravite. Et c'est là que ça devient génial : Mister Babadook n'est pas un film d'horreur dans lequel une femme élève son fils après la mort de son mari : c'est un drame, l'histoire d'une femme dont le mari est mort et qui doit en faire le deuil, et qui se sert du genre épouvante pour faire passer son message (do you feel the subtility ?).

Ce drame aurait tout aussi bien pu être raconté de manière classique, en mode violons et mouchoirs. Il aurait aussi pu être une comédie (un peu moins courant). Jennifer Kent en a fait un film d'horreur (beaaaucoup moins courant). Jennifer Kent has some balls. Alors certes, ce n'est pas d'une profondeur abyssale (coucou quelques scènes finales un peu trop appuyées, des fois qu'on n'aurait pas compris). Mais le sentiment qui m'a habité lors du dernier plan est révélateur : non pas un soulagement après tout ce stress, ni de l'angoisse en pensant à mon appartement sombre. Ce qui m'a habité, c'était le sentiment d'une grande compassion pour cette femme, une empathie que j'éprouve rarement vis à vis d'un personnage.

Je n'ai pas vu beaucoup de films d'horreur. Quoiqu'il en soit, je n'en connais aucun où l'histoire ne soit pas un prétexte plus ou moins grossier à la mise en scène de la peur. Ça doit exister, évidemment, mais ce n'est pas courant. Avec Mister Babadook, l'horreur est le moyen qui permet à la réalisatrice de communiquer l'histoire de cette femme.

Le peu d'innovation en ce qui concerne la partie épouvante, qui m'avait déçue par son conformisme, trouve alors son explication : ce n'est pas ce que cherche à développer Jennifer Kent. Son objectif numéro 1, ce n'est pas de révolutionner le cinéma d'horreur. C'est de raconter l'histoire de cette femme, point. C'est cette histoire qu'elle a travaillée, tout en laissant le soin aux bons vieux trucs qui marchent de remplir le contrat côté épouvante.

Jaugez à quel point cette démarche est badass : d'un côté, elle perd immédiatement un public qui se serait sans doute intéressé à son histoire si elle avait été présentée sous une forme classique. D'un autre côté, elle prend le gros risque de décevoir ceux qui s'attendent à un film d'horreur classique (donc tout le monde en fait). Mais, et c'est ce que j'admire au cinéma, elle prend surtout le pari de créer une œuvre unique. Une œuvre qui a d'ores et déjà trouvé son public, prouvant au passage, chose ô combien importante, que le cinéma de genre n'est creux que si on ne prend pas la peine de le remplir (woaaa).
BastienCl
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le 7 juil. 2014

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BastienCl

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