Un coup de poignard au coeur (de ceux qui en ont encore un)!

Il y a parfois des films qui vous donnent envie de donner un énorme coup de pied au cul de ceux qui vous racontent à longueur de journée et dans les média soit-disant objectifs que la direction que prennent le monde et nos sociétés modernes est celle du progrès, qu'il faut s'y adapter même si ça gratte un peu, et qu'au final c'est pour le mieux... Et "Moi, Daniel Blake" est de ceux-là!


Il nous raconte l'histoire d'un menuisier de 59 ans (joué, avec une simplicité très efficace par Dave Jones) qui, suite à un accident cardiaque, se retrouve pris entre le marteau d'un état de santé qui l'empêche de travailler sous peine de risquer bien pire, et l'enclume d'un système (prétendument) social privatisé qui s'obstine à ne le voir que comme un numéro à faire entrer dans une case sous peine de le condamner à la misère la plus absolue... Au cours de son parcours proprement ubuesque (on pensera par moments à la "Maison des Fous" des Douze Travaux d'Astérix, mais en mode hardcore ultra-brutal), il croisera la route de Katie (la bouleversante Hayley Squires), une mère célibataire qui tente elle aussi de toutes ses forces de s'en sortir et de survivre à l'impitoyable machine administrative, à qui il sera l'un des rares à tendre la main. L'injustice, ça rapproche.


Daniel et Katie rencontreront bien quelques personnes que le système n'a pas encore débarrassées de leur part d'humanité, mais leurs efforts solidaires se heurtent aux impératifs de rendement et de conformisme d'une société dans laquelle les accidents de la vie sont trop souvent vus comme des fautes, des faiblesses, une raison d'en faire culpabiliser les victimes.


Ils sont pourtant loin, très loin d'être ce que beaucoup de nos jours appellent des profiteurs, des fainéants, des fraudeurs!!! Ils se bougent autant que tous les autres, ils se battent, ils ne demandent rien d'autre que l'opportunité de montrer ce qu'ils savent faire, ou d'obtenir en attendant ce à quoi tout être humain devrait avoir droit, la dignité, être traité avec respect, avoir face à soi une oreille attentive au lieu d'une machine froide et préprogrammée! Mais c'est trop demander de nos jours. Tout le monde doit être capable de s'adapter, de maîtriser des outils dont personne ne lui expliquera le fonctionnement (faut se prendre en main, voyons!), d'être patient, et calme, et soumis en toutes circonstances... Et reconnaissant, en plus!


Vous l'aurez bien compris en lisant mes mots ci-dessous, "Moi, Daniel Blake" est un cri de colère et d'indignation. Et si vous connaissez un peu le cinéma de Ken Loach, vous n'en serez pas surpris. J'enrage de lire certaines critiques qui lui reprochent de ne pas faire de l'artistique!!! Quoi, l'art c'est forcément quelque chose de beau, de léché, qui flatte l'oeil et caresse dans le sens du poil? Non, l'art c'est aussi un coup de poing dans la gueule! Et parfois, l'emballer dans du miel c'est juste une insulte, un affront à ce qu'on essaye de dire. Tout dans ce film est au service du propos, tant la sobriété de sa réalisation que celle du jeu de ses interprètes, ou que les embûches kafkaïennes auxquelles ses personnages sont confrontés. Même ce que certains autres lui reprochent, sa présivibilité, fait sa force! L'irrémédiable qu'on voit venir est encore bien plus ravageur qu'un coup de théâtre abracadabrant et factice.


Contrairement à ce que disait quelqu'un il y a plus de vingt ans, c'est bien l'histoire d'une société qui tombe, mais ce qui compte ce n'est pas l'atterrissage... Ce qui compte, c'est bien la chute, parce que tant qu'elle ne s'est pas totalement fracassée au sol, il y a peut-être encore moyen de se raccrocher quelque part, d'éviter le désastre absolu! Mais pour ça, encore faudrait-il arrêter d'écouter la pensée unique (de ceux qui utilisent ce même terme pour se dédouaner de leur cynisme dégueulasse, et je pèse mes mots!) qui prétend que le libéralisme est le moins mauvais des systèmes, que la rentabilité c'est la vie, et qu'il faut arrêter d'aider les gens qui souffrent parce qu'on ne peut pas se le permettre! Ce qu'on ne peut pas se permettre de faire, c'est de continuer à écouter ce discours culpabilisant et laisser nos coeurs mourir à petit feu... Parce que sinon, nous n'aurons tout simplement plus rien d'humain!

CharlesLasry
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le 29 nov. 2016

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Charles Lasry

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