Il n’y a rien de plus difficile, de plus radical, de plus politique, que d’être complètement soi-même Sans excuses, sans compromissions, sans masques, soi-même. La route la plus difficile. Moonlight raconte l’histoire d’une quête de soi désespérée au milieu du tumulte.


Moonlight fait penser à la série Atlanta dans le traitement tout en nuances et en humanité de ses personnages et sa poésie urbaine désespérée. Le film ne s’excuse pas des stéréotypes ; il a la profonde intelligence de ne jamais y délimiter les personnages. Moonlight interroge la représentation collection que l’on se fait de la masculinité noire, c’est-à-dire une hyper-virilité agressive, animale, dépouillée de nuances et de sensibilité. Une représentation héritée du temps du l’esclavage, qui perdure et qui s’autoalimente. A travers les personnages de Juan et de Chiron-Black, Moonlight montre des hommes noirs marquants, ambigus et tiraillés dans leurs choix de vie. L’existence de ces personnages est déjà en soi un acte politique, une façon de démystifier le ghetto et ses habitants, encore aujourd'hui enfermés dans une fausse identité véhiculée entre autres par Hollywood, monolithique et caricaturale.


Le film adopte un point de vue intersectionnel en abordant de façon transverse (car chaque problématique s’entremêle) l’homosexualité et la masculinité noire au sein d’un environnement violent et qui laisse place à peu, voire aucune, alternative. Un environnement dérivé d’un racisme institutionnalisé, d’un libéralisme sauvage, d’un machisme excluant. A la fois oppressif et fruit d’un système oppressif, le tout dans un contexte de pauvreté asphyxiante. Cette peinture réaliste est mise en relief à travers l’image, sans être sur-appuyée par un discours. L’image et ce qu’elle montre est suffisamment évocatrice d’un merdier racial/social enraciné à l’échelle d’une nation.


Adapté d’une pièce de théâtre, Moonlight est composées en trois parties qui montrent le personnage de Chiron à trois étapes de sa vie : son enfance, son adolescence et sa vie adulte. On découvre d’abord Little, un jeune garçon au regard triste, mutique et extrêmement réservé qui vit avec sa mère célibataire et accro au crack. Une situation pas très drôle à laquelle s’ajoute le rejet subi de ses pairs. Déjà si jeune, la drogue envahit son environnement et sa perception des choses. Little trouve en un dealer rencontré par hasard une figure paternelle qui le marque à vie, qui lui offre du réconfort, de l’amitié et une guidance. L’ombre de Juan ensuite disparu plane sur la vie de Chiron qui y voit inconsciemment un modèle, le seul qu’il ait rencontré. On suit également la relation de Chiron avec sa mère, ce qui donne lieu à des scènes extrêmement dures et poignantes qui montrent toute la douleur liée à une filiation dont on dépend socialement mais aussi affectivement. Les enfants s’attachent à leurs parents, même abusifs, quand ils n’ont qu’eux.


L’histoire d’amour qui se tisse entre Chiron et Kévin se développe avec pudeur et grâce. Ils s’apprivoisent et se découvrent avant de se séparer pendant de longues années. Un appel téléphonique et le Chiron adulte, devenu Black, replonge dans les méandres d’une mémoire refoulée. Le désir enfoui resurgit et rappelle cet amour passé. Black, loin du garçon prostré et frêle qu’il était, est un grand gaillard ultra musclé avec grills dorés, qui met du gros son dans sa voiture et qui deale avec prospérité. Un homme qui se cherche et dont l’apparence imposante le protège d’office, lui qui a passé sa vie antérieure à subir les attaques. Mais au fond de lui, il y a toujours Chiron, cet enfant de la Lune qui ressent trop, qui ne trouve pas toujours les mots, qui observe avec timidité et douceur. La dernière partie est de loin celle que j’ai préféré et je salue l’interprétation de Trevante Rhodes, toute en nuances, en jeux de regards et en changements d’attitude subtiles.


Moonlight est un film à l'atmosphère à la fois crue et romantique (au sens quasi pictural du terme). Il souffre tout de même d’un certain manque d’émotions durant la première partie du film : minimalisme frustrant en particulier dans le jeu mutique des deux premiers acteurs, certains effets peut-être trop appuyés (les gimmick de la musique classique et des ralentis, vus et revus). Ce sont là les points négatifs du film qui m’empêchent de mettre une meilleure note.


Le titre de la critique est un clin d'oeil à la chanson Cold War de Janelle Monae (Theresa dans le film):
I'm trying to find my peace
I was made to believe there's something wrong with me

Silencio
7
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le 2 févr. 2017

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Silencio

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