Sous ses allures de film Oscar-friendly, Moonlight s'émancipe du misérabilisme tire-larmes bourrin pour proposer une expérience sensible.


"Every nigger is a star" clame d'emblée le film. Le ton est donné. Moonlight, récemment récompensé aux Golden Globes, chercherait-t-il à briller ? La question se pose à la vue de l'inaugural plan séquence - réussi sur la forme mais très gratos dans l'esprit. La mauvaise idée serait de continuer dans cette optique, en déballant des artifices dont on se passerait aisément. Heureusement, sans réussir à totalement s'émanciper de quelques tentatives esthétiques pas toujours pertinentes, le long-métrage de Barry Jenkins a le mérite de ne pas se cacher, de ne pas se réfugier derrière la sacro-sainte pudeur pour éluder les questions les plus sulfureuses de son récit. Au travers de trois époques, Moonlight retrace le parcours d'un jeune afro-américain gay à la recherche de sa propre identité et de sa place dans le monde. Voulant sans doute emboiter le pas à Linklater et son Boyhood, Jenkins se lance dans une chronique sociale s'étalant sur des années. Oui, pourquoi pas. Les ellipses sont d'ailleurs bien senties et témoignent d'une certaine finesse d'écriture. Mais les deux premiers chapitres s'essoufflent assez rapidement dans leur contenu, offrant quelques parenthèses sublimes (dont un premier émoi amoureux magnifique ou une fausse bagarre parfumée de sensualité) parmi un tas de répétitions - formelles et scénaristiques. Malgré lui, on pardonne au film ses errements tant il a l'air de fonctionner en adéquation avec son personnage, se cherchant et évoluant au rythme des minutes qui défilent. Jusqu'à se trouver.


Il faut donc attendre le troisième chapitre (l'âge adulte) pour que le long-métrage explose. Débarrassé des coquetteries inutiles (regards caméra, ralentis) et de symboles grossiers (un bain marquant le début de la quête identitaire), Moonlight donne la pleine mesure de sa sensibilité. Déployant une imagerie chargée en testostérones à base de dealers et de musculations, cette troisième partie démarre avec des promesses et un univers qu'il désamorce très rapidement. Pas de règlements de compte, pas de coups, de tirs, d'insultes. A l'image de son protagoniste principal, le film se donne un genre mais garde sa précieuse sensibilité intacte.



"Ni putassier ni misérabiliste, Moonlight est avant tout délicat."



De quoi aboutir à une scène dans un dinner où Black retrouve son amour de jeunesse. Il y a un petit quelque chose d'inédit à voir ce dealer de drogues à la carrure imposante dans une scène chargée en pudeur et désir homosexuel. On le croirait sorti d'un autre film, parachuté au beau milieu d'un cadre qui ne lui correspond pas. Barry Jenkins a le mérite d'oser. Au sens le plus bienveillant du terme. Aucune envie de provoquer ou de déranger par le malaise mais plutôt de poser un doux regard tendre sur une situation inusuelle, sans sournoisement mettre en avant son caractère atypique. Ce décalage est aussi provoqué par le choix de l'acteur, Trevante Rhodes. On a cette impression que deux personnes sont dans une seule, un corps différent de l'âme. La belle idée du réalisateur américain est d'avoir provoqué depuis le début un chamboulement dans le passage d'un acteur à l'autre. Du petit au très grand. Du maigre au musclé. A mesure que le film avance, le corps de Chiron donne l'air de se modeler, Le temps et l'expérience le façonne. Tout le sujet du film donc - comment être soi malgré le regard des autres.


"Puissant", "Inoubliable", "Un chef d'œuvre", voilà un petit échantillon de superlatifs scandés par l'affiche et la presse à propos de Moonlight. A vrai dire, le film n'est rien de tout ça. Pourtant il ne faut pas minimiser ce qu'il propose. Refusant de s'engouffrer dans une brèche politique malgré le contexte actuel, Jenkins n'a aucune rage, pas de débordement putassiers ou misérabilistes. A défaut d'avoir pleuré toutes les larmes de notre corps, on sort de Moonlight animé par la conviction que quelque chose de différent s'est présenté à nous. Pas d'un point de vue technique mais dans l'esprit. Après tout, depuis que Spike Lee a prouvé qu'il n'a plus la possibilité artistique de continuer à faire exister un puissant cinéma identitaire noir, des gens comme Barry Jenkins ont peut-être l'occasion de reprendre le flambeau qui ne demande qu'à briller de milles feux dans le paysage cinématographique. Faire ça en 2017, avec un telle sensibilité, c'est symboliquement quelque chose de précieux.


Par Maxime, pour Le Blog du Cinéma

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le 2 févr. 2017

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