Le sujet n’est pas uniquement l’histoire d’un homosexuel dans un univers qui n’accepte pas sa différence mais c’est surtout le récit de la construction d’une personne en milieu hostile.
Ou plutôt de sa déconstruction.
Chiron est d’abord un enfant qui doit subir les persécutions de ses camarades et mener sa petite vie tant bien que mal entre un père absent et une mère dont la présence devient lourde quand elle est droguée et fait des crises de colère.
C’est déjà un enfant qui souffre, et les quelques personnes sur lesquelles il peut s’appuyer lui laissent espérer que ça ira mieux après, qu’il est encore trop jeune pour se connaitre.
Adolescent, il est toujours ce gringalet incapable de rivaliser avec la caïds du collège, peinant à s’exprimer, toujours introverti, à fleur d’une peau dans laquelle il se sent de plus en plus mal.
Et puis, au milieu de son calvaire va venir un moment fugace et lumineux, au clair de la lune, un seul instant qui va laisser Chiron s’exprimer, penser que finalement il y a peut être une place pour lui quelque part. Jusqu’à un certain point, jusqu’au retour douloureux sur terre, comme pour montrer que les rêves au clair de la lune ne sont pas faits pour être vécus en plein jour.
Adulte, on ne reconnait plus notre héros dont le physique et le comportement sont aux antipodes de ce qu’on voyait de lui jusque là.
Et pourtant derrière la montagne de muscles on sent encore le petit être tremblant, on perçoit sa souffrance et c’est encore pire que d’avoir vu l’enfant blessé. Se rendre compte que les fêlures n’ont pas pu être réparées par le temps mais ont juste été camouflées est un choc. Tout le génie du film est d’avoir pu construire un personnage auquel on s’attache alors qu’il ne s’exprime pas, ou peu, et nous laisser assister à un lent processus de négation de sa nature.
Chaque épreuve traversée par Chiron peut nous parler, parce qu’on a tous été un jour ou l’autre ce gamin pas sûr de lui, cet ado qui se demande ce qu’il va faire de sa carcasse, cet adulte en qui il reste toujour un enfant habité des mêmes doutes, arborant un nouveau costume, qu’on a essayé de se tailler pour faire front.
Ca nous parle mais dans une version tellement plus mesurée qu’on peine à imaginer le mal être du héros pour qui ces passages habituels de la construction l’obligent à s’oublier à enfiler une armure de muscles pour faire taire des rumeurs qu’il ne veut plus subir.
Moonlight arrive à traiter avec délicatesse de l’homosexualité du héros sans en avoir l’air: on aurait pu raconter la même histoire avec une autre différence: il aurait pu être gros, blanc, boiteux, bègue, ou simplement introverti ça tenait encore la route du moment que ça créait une rupture avec son environnement.
Peu importe la différence, ce qui est mis en avant c’est le fait de ne pouvoir vivre cette singularité dans un milieu où elle n’est pas tolérée.
Le film est touchant, bien interprété, la mise en scène est maîtrisée, la bande son est correcte, bref il n’y a pas grand chose à jeter dans ce film à part de légères longueurs par moments, mais elles participent justement à rendre le parcours de Chiron aussi lourd et à nous laisser prendre la mesure de sa souffrance.
On ressort de là avec une partie de la souffrance du héros, et ça c’est la marque d’un film qui a atteint son objectif.