Au moins, là, c’est du cinéma d’auteur

Ah Durendal ! Je te déteste !
Par ta faute, mon amour pour ce « Mother! » s’est retrouvé entaché !
Entaché par quoi ?
Entaché par ton analyse qui – une fois n’est pas coutume – a su montrer ce que je n’ai su / pu / voulu voir dans ce film !
Ah ça ! J’ai tellement voulu retrouver le Darren Aronofsky de « Black Swan » que je n’ai pas su voir que ce « Mother! » était aussi un film de l’Aronofsky de « Noé »…


Bon après, j’avais des circonstances atténuantes.
Dès le début du film, la démarche formelle ne fait aucun doute.
On se retrouve aux antipodes des horreurs numérisées de la dernière fresque biblique de l’ami Darren (quoi que… mais enfin bon, en termes de proportion ça n’a rien à voir !).
Là – oui ! – on retrouve clairement cette réalisation à fleur de peau qui faisait toute la force de « Black Swan ».


Pourtant – et les habitués de mes critiques le savent – généralement je ne suis vraiment pas fan de l’usage presque systématique de la caméra au poing.
Mais là, il y a une vraie dynamique dans cet usage, le tout savamment associé à un cadrage, un montage, et des mouvements vraiment suggestifs qui, cumulés, parviennent à générer une véritable montée anxiogène de cette atmosphère d’oppression.


Et si je laisse de côté l’élément narratif que l’ami Durendal a su me révéler après coup, franchement, moi, ce genre de spectacle, ça me fait monter au septième ciel.
Qu’il est bon de retrouver ces cinéastes qui accordent une véritable considération à l’expérience sensorielle au cinéma !
Oui, le cinéma ce n’est pas juste du texte qu’on débite ; une démonstration qu’on déroule ou une description qu’on déverse.
Le cinéma c’est aussi dire des choses à travers LES sens plutôt qu’à travers LE sens.
Parler aux tripes avant de parler au cerveau.


En cela, ce « Mother ! » est génial et satisfait amplement le type de cinéphile que je suis.
Moi, vraiment, je me suis régalé, et je me suis d’autant plus régalé que la démarche en termes de propos de la part d’Aronofsky était suffisamment obscure et fragmentaire pour que j’aille y chercher ce que je voulais bien y prendre.
D’ailleurs oui, en sortant de ce film, j’avais tellement pris mon pied que j’étais parti pour écrire une bonne critique bien dithyrambique…


Et puis, à la fin de la rédaction de mon post, j’ai eu le malheur d’ouvrir cette foutue page Youtube qui me suggérait d’aller voir le vlog de Durendal sur le sujet…
Et là – oui – force fut de constater que j’avais vu dans « Mother! » le film que j’avais voulu voir plutôt que le film qu’Aronofsky avait voulu faire. En fait, le propos ne se révèle pas si fragmentaire que cela.
C’est juste un propos arborescent où, d’une thématique centrale, il en dérive un paquet de sous-thématiques.
Et donc non : la thématique centrale de ce film n’était pas l’aliénation comme avait voulu le croire le gros adorateur de « Black Swan » que je suis (et accessoirement gauchiste au passage).


Non, la thématique centrale c’était bien ce bon vieux gros mythe biblique… Or moi, les mythes religieux – et encore plus les mythes des religions abrahamiques ! – ça ne me parle mais alors pas DU TOUT. La philosophie induite par ces textes est tellement antagoniste à la mienne qu’en général, quand on me la serre dans une œuvre quelle qu’elle soit, soit je reste aussi inerte qu’un rondin, soit je me crispe comme un petit déjeuner Kellogg’s. Et autant j’arrivais à me laisser happer par ce tourbillon anxiogène de ce « Mother! » tant que je n’y voyais qu’une forme d’aliénation non définie ; voire un regard sur le couple ou sur le rapport vampirique à la création, autant tout s’effrite dès que je me dis que tout ça n’est au fond qu’une banale allégorie du récit biblique. Parce que oui, Durendal a bien raison. Oui, la maison est bien une allégorie du monde terrestre. Oui, Javier Bardem est bien Dieu. Oui, Jennifer Lawrence est bien une sorte de figure virginale à mi chemin entre la pureté et l’innocence (...pour peu que ces deux notions puissent être différenciées dans la philosophie biblique). Oui Ed Harris et Michele Pfeiffer sont bien Adam et Eve (Le premier n’a-t-il pas une plaie au niveau de la côte que Dieu s’empresse bien de cacher ? Et la seconde n’est-elle pas celle qui va commettre le péché originel en osant détruire le fruit interdit ?). Oui aussi, leurs enfants sont bien Abel et Caïn : le premier étant tué par le second. Oui, la foule qui envahit ensuite la maison est bien l’engeance multipliée d’Adam et d’Eve. Oui, l’enfant qui va naître de l’accouplement de Dieu et de l’allégorie virginale qu’incarne Jennifer Lawrence est bien Jésus (il est offert aux Hommes par Dieu, lesquels le sacrifieront et le dévoreront comme les Chrétiens le font à chaque eucharistie…) Donc oui Durendal : tu as bien raison sur toute la ligne. Ce film se réduit finalement qu’à une banale allégorie religieuse ; allégorie finalement mal gérée puisque soit elle n’est pas perçue par le spectateur et dans ce cas là elle fait perdre beaucoup de sens au film, soit elle est perçue et donc du coup, elle rend le film totalement prévisible. En somme – oui – c’est bête, mais depuis que j’ai croqué dans le fruit du savoir, je n’arrive plus à voir « Mother! » tel que je l’ai vu la première fois, et donc – oui – j’en veux à Durendal pour avoir eu raison, et j’en veux à Darren Aronosfsky pour être retourné à ses marottes de bigot plutôt que d’avoir fait l’effort d’une démarche davantage universaliste…


...
Mais bon…
Malgré cela, je l’avoue : je n’arrive pas à renier mon admiration pour cette œuvre.
Cette forme me parle tellement – cette dynamique paroxysmique correspond tellement à ce qui me manque actuellement au cinéma ! – que je ne peux qu’apprécier ce type de démarche.
Et puis après tout, on ne peut pas d’un côté réclamer à cor et à cri de l’audace et de la singularité chez les auteurs et de l’autre grimacer dès qu’on tombe sur une aspérité qui ne fait pas consensus.


OK, je n’aime pas ce que dit Aronofsky dans ce film là.
Je n’aime pas le regard qu’il porte sur l’Humain via ce film là…
Mais que j’aime sa façon de nous le transmettre !
Que j’aime son langage qui passe par les viscères !


Alors oui, « Mother! » est ce qu’il est et il dit ce qu’il dit.
Il n’empêche qu’il apporte quelque-chose de singulier au cinéma ; quelque-chose d’unique, de rigoureux et de profondément personnel.


Là au moins on ne pourra pas lui reprocher à l’ami Darren de s’être plié aux exigences d’un grand studio ou bien d’avoir cherché à séduire la ligne militante d’un grand festival.
Non. Ce film est un film profondément aronofskyen, avec tout ce que ça implique de plus beau et de plus discutable.


Alors oui, j’adore avec beaucoup de réserves, mais je ne peux m’empêcher d’adorer quand même.
Que voulez-vous... On ne se refait pas...

lhomme-grenouille
8

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le 16 sept. 2017

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