... deux gamins qui rêvaient d'avoir leur bateau.

Et voila que Jeff Nichols nous raconte une nouvelle histoire, un conte sensible où les amateurs feront rapidement le parallèle avec Mark Twain et l'intrigue de son Tom Sawyer. Jeff, c'est ce réalisateur talentueux qui a littéralement explosé l'an passé à Sundance, Cannes et Deauville avec son chef d'oeuvre (et je lésine sur les mots) Take Shelter, une merveille de film sur le thème de la fin du monde. Auparavant, il avait été remarqué avec un premier long-métrage intitulé Shotgun Stories mettant en scène des conflits de famille. Les histoires de Jeff Nichols renvoient toujours au genre littéraire suivant : le Southern Gothic. L'an passé, un autre film très acclamé en faisait son cadre, il s'agissait du très onirique Les Bêtes du Sud Sauvage de Benh Zeitlin. Initialement, un genre littéraire faisant état des régions du sud des Etats-Unis qui par la suite a envahis des textes de chansons et des scénarios cinématographiques, caractérisés par des situations et des personnages atypiques. Ici le cadre se situe autour du fameux Mississippi, fleuve aux vertus économiques puisqu'il permet aux pêcheurs, figure centrale du film, d'exercer et de survivre dans cette région, où la crise a ravagé la santé de ces lieux, symbolisé par ces décors et autres bateaux à l'abandon.

Finalement Jeff Nichols, qui se considère comme "un simple raconteur" d'histoire lorsqu'il répond à une éventuelle comparaison avec le cinéma de Terrence Malick (plus proche désormais d'une forme d'art expressionniste et vouée à la nature), nous raconte une histoire simple et finalement déjà maintes fois entendues. Deux enfants qui veulent aider un inconnu faisant preuve de pitié et de séduction. Seulement le réalisateur maintes fois primé ne se contente pas de raconter une histoire sans y mettre le ton. Son traitement est plus profond et surtout Nichols a cette capacité et ce talent à définir et construire des personnages précis et jamais manichéens. Dans Mud, personne n'est tout blanc ou tout noir. Chacun a ses défauts, ses convictions, ses mensonges et ses conséquences qu'il faut assumer. Il y a toute une galerie de personnages qui finalement ont tous une personnalité complexe et un but à atteindre. A bien y regarder, il n'est jamais question de combat entre le bien et le mal, c'est plus que cela ! C'est un affrontement entre des personnes qui veulent tous obtenir quelque chose et sont prêt à en payer le prix.

Revenons à Mud ! Interprété par un Matthew McConaughey dont le virage brutal dans sa carrière lui a permis de devenir l'un des acteurs les plus courtisés du cinéma indépendant après La Défense Lincoln, Killer Joe, PaperBoy ou Magic Mike, Mud est un personnage charismatique, flatteur, profond mais non dénué de défauts. Son égoïsme sera par ailleurs son plus grand ennemi en se servant de ces deux enfants. Ces derniers, dont l'un avait déjà fait ses preuves sur Tree of Life du métaphysicien Malick, sont parfaitement justes et arrivent à convaincre sans mal de leur naïveté d'adolescent et de leur regard innocent sur le monde qui les entoure. Deux amis aux familles bien distinctes dont le seul point commun est de savourer ces moments de vagabondages dans le bayou. Le reste du casting fait plaisir à voir aussi bien Reese Witherspoon, que Michael Shannon ou Sam Shepard, intéressants mais légèrement en retrait.

D'un point de vue visuel, il faut reconnaître que l'ensemble n'est jamais réellement transcendant malgré certains plans d'une extrême beauté. Jeff Nichols continue de faire du cinéma indépendant, et certains jugeront d'un certain classicisme dans son travail. Son directeur de la photographie s'est attaché à présenter la lumière de la manière la plus naturelle possible, à la manière de l'équipe de Terrence Malick. Au final, des comparaisons pas si futiles que ça pour un réalisateur et un résultat qui ne peuvent être comparés à l'expérience d'un Malick. A rapprocher aussi de ce dernier, des mouvements de caméra très humbles et élégamment posés dans un soucis de proposer un film, jamais figé, mais calme et continu comme le court d'un fleuve.

Le réalisateur avoue avoir piqué quelques éléments scénaristiques des romans de Mark Twain pour créer son propre mythe autour de ces personnages et de ces régions qu'ils affectionnent tant, malgré le peu d'espoir qui s'en dégage. Mud est aussi un film sur l'amour. L'amour qui se construit, l'amour qui perdure et l'amour qui se perd. C'est un film qui tour à tour présente les hauts et les bas d'une relation. Une certaine sensibilité de la part d'un réalisateur qui s'identifie aussi bien à son Mud, présenté tel un mythe, qu'à Ellis, garçon tendre, romanesque et Mud en puissance où seule la violence semble être un moyen pour ces deux-là de préserver leur amour. Un réalisateur qui déclarait en interview avoir été marqué par une rupture pendant son adolescence. Ou l'idée qu'un simple garçon ait tiré, de cette expérience, un film d'une sensibilité exemplaire, vingt ans plus tard.

Mud n'a pas eu la chance d'être récompensé à Cannes, dans une sélection présidée par un Nanni Moretti, extrêmement exigeant. Présenté à un accueil mitigé, jugé de par la consensualité visuelle de l'oeuvre, Mud a eu un parcours de distribution plus difficile que Take Shelter et il est dommage de voir qu'un film aussi beau ait pu mettre autant de temps à sortir dans nos contrées (presque un an après sa projection à Cannes). Ce n'est pas un film indépendant comme un autre. Le scénario joue avec les attentes du spectateurs et le dénouement n'est pas aussi évident que le postulat de départ ne le laissait sous-entendre. Pas de happy-end, une fin presque dramatique pour certains personnages mais finalement une séquence finale teintée de sensibilité et d'espoir en l'amour, la nature, une forme de liberté et tout simplement la vie, aussi parsemée d'embûches puisse-t-elle être.

Un long-métrage maîtrisé comme il se doit, une énième preuve qu'un grand réalisateur est en train de naître, la confirmation du talent des interprètes du film, la beauté d'une région anéantie, et la délicatesse des thèmes abordés. Mud, c'est tout ça à la fois !!

Jeff Nichols, assurément le visage actuel du cinéma indépendant US !

Créée

le 2 mai 2013

Modifiée

le 2 mai 2013

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Kévin List

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