Une nouvelle fois se pose la question de la promotion entourant My Sweet pepper land qui vend le film comme une comédie hilarante; l’affiche promet même un humour féroce. C’est à se demander si les esprits à l’origine de la formule ont cerné le dernier film de Hiner Saleem, ou tout simplement pris le temps de le voir, parce que pour le réduire à un simple trait d’humour, il ne faut prendre en considération que ses 5 premières minutes, qui, effectivement, sont d’une ironie tordante.

Car si le rire tient en effet une belle place dans la besace d’Hiner Saleem, c’est tout de même en quantité plus que modérée. A croire qu’à partir du moment où un réalisateur s’amuse avec les codes du film de genre, il n’est pas pris au sérieux. Or, en se réappropriant les gimmicks du western, pour les transposer dans une réalité tout sauf amusante, Hiner Saleem est tout sauf léger. Et s’il se permet de dédramatiser son propos par quelques petites scénettes amusantes, c’est pour mieux dérouler dans le même temps un sous texte bien plus sensible.

A travers les deux personnages qui peuplent son film de cowboy, il aborde en effet des thématiques lourdes de sens. Son sheriff, nouvellement nominé dans un territoire difficile à réguler parce qu’il est le carrefour stratégique de trois pays marqués par le sang, pose la question du dépôt des armes et de la difficulté de remettre pied à terre dans un quotidien dit normal. Mariage, vie de famille, une échine à courber devant de nouvelles règles oppressives, il ne veut rien de tout ça. Alors quand la possibilité d’aller faire parler la poudre dans un village coupé du monde, sauf de fortes têtes qui y font régner leur loi, se présente, pas question de décliner cette possibilité de couper court aux requêtes insistantes de sa gentille maman.
Quand au second personnage, c’est le soleil même que met en scène Hiner Saleem par l’intermédiaire de son institutrice passionnée. Qu’elle défie la pluie armée de son seul Hang aux sonorités apaisantes ou sa famille en refusant de se marier, parce qu’il est de coutume de le faire, elle est la touche d’espoir qui s’immisce avec grâce dans un paysage qui n’en espèrait pas autant.

Forcément, ces deux âmes aux forts caractères étaient faites pour se rencontrer, et se trouveront malgré une adversité nourrie qui préfèrerait les voir six pieds sous terre. La lente progression de leur idylle est certes un peu convenue, mais nécessaire pour appuyer une pensée progressiste qui remet en question, sans y aller trop frontalement non plus, de fortes mentalités traditionalistes particulièrement obtuses. Et si l’intention pouvait rapidement prendre la forme d’une dénonciation très premier degré il n’en est rien : Hiner Saleem dilue sa critique dans une ambiance mid-eastern copiant son frère l’West particulièrement délicieuse. De la pendaison manquée du début au massacre final très brutal que n’aurait pas renié Bloody Sam (toute proportion gardée hein, c’est pas la Horde sauvage non plus ^^), le cinéaste est fidèle à son intention première, que ce soit dans sa mise en scène, généreuse en gros plans sur les visages, dotée d’une belle sensibilité dès qu’il s’agit de filmer les grands espaces ou dans l’écriture de ses personnages, badass, très portés sur l’honneur et désireux d’en découdre.

Une jolie découverte à laquelle il ne manque qu’un soupçon de rythme, ainsi qu’une pincée d’ambition dans l’écriture, pour parvenir à approcher le croquant d’un western engagé cuit Al Dente. Néanmoins, et même si ce petit excès de cuisson ôte un peu d’expression au plat, on se régale de cette proposition qui ne manque ni d’originalité, ni d’intention. Et en cette pâle année 2014, ça fait vraiment plaisir de tomber nez à nez avec ce genre de revisite moderne, à laquelle il ne manque qu’un trait de cinémascope pour finir de nous enflammer les pupilles.

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oso
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le 27 oct. 2014

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