Le thème de Govend composé et joué au Hang par l'actrice principale.


C'est avec My Sweet Pepper Land que je découvre à la fois le réalisateur Kurde Hiner Saleem et la magnifique Franco-iranienne Golshifteh Farahani, délicate beauté persane dont le talent ne tient pas à sa vénusté mais à un jeu délicat dans ce rôle de Govend, tout en air chagrin transcendé par un sourire mélancolique, un visage traversé de passions tranquilles comme autant de lames de fond balayant sous la surface jusqu'à ce qu'éclate la colère en défi aux forces établies, tempête de larmes vite essuyées.
J'ai traité de l'actrice principale, je me permets de parler de Korkmaz Arslan - jouant Baran, le personnage principal et commandant de police - qui est un jeune acteur, inconnu au bataillon, Kurde résidant en Allemagne repéré presque par hasard par le réalisateur et dont la prestation laisse augurer un brillant avenir.
On sera étonné de savoir que mis à part les quelques personnages principaux du film, l'ensemble du casting est recruté sur place et que certaines actrices incarnant les maquisardes Kurdes de Turquie sont d'anciennes combattantes. L'ensemble donne un jeu très naturel pour les villageois et acteurs secondaires et les personnages principaux donnent la pleine mesure d'un jeu tout en finesse, très intelligent.


Il est toujours intéressant pour qui se pique d'éclectisme en cinéma de tomber du coin de l’œil sur un métrage venu d'un pays qui n'exporte que peu ou pas ses films, dont les productions ne nous parviennent que rarement. Ici c'est le statut franco-irannien de l'actrice mais aussi d'Hiner Saleem réfugié en Europe qui explique cette plus grande visibilité chez nous. On craint, en ignare béotien que nous sommes, de ne pas trouver savoir-faire et maîtrise technique. Ça serait grandement se fourvoyer et le spectateur se trouvera étonné par cette maîtrise rythmique qui permet de contempler les montagnes reculée du Kurdistan , cette photographie soignée et cet hommage au Western - on parlera "d'Eastern" - qui se retrouve dans la première séquence mâtinée d'un humour absurde, dans la trame de fond qui semble s'approprier ces codes pour mieux les digérer ou bien dans certaines situations iconiques du western.


My Sweet Pepper Land est une véritable une comédie dramatique, ouvrant sur un absurde humour quasi-cynique qui se retrouvera dans certaines critiques adressée à la société. Mais définir ce film par son humour serait une erreur. Bien plus que cela c'est une histoire universelle - banale diront à tort certains - d'un amour timide, de deux êtres se construisant face à l'adversité, à l'hostilité d'un village reculé dans lesquels ils viennent représenter la loi naissante et balbutiante, la civilisation moderne qui affronte de plein fouet le poids des particularismes locaux, des coutumes ancestrales. C'est l'arrivée de Baran dans un petit village reculé à la frontière Turque qui fini de mettre le feu aux poudres d'un village dominé par un chef de clan qui se fait autorité morale et politique condamnant déjà la venue d'une jeune institutrice de vingt-huit ans, célibataire.
Au travers de cette compréhension mutuelle qui va naître entre nos deux protagonistes, au travers de cette lutte du "shérif" contre les bandits qui dominent la région c'est en creux le portrait d'un pays que nous livre Hiner Saleem, une critique de ces valeurs morales qui pèsent sur une contrée qui oscille entre modernité et tradition. Un pays de montagne, une démocratie jeune qui dort sur une réserve de pétrole. C'est ces chantiers de la capitale corrompue, ces médicaments périmés échangés à prix d'or, ces trafics d'alcool et de denrées au long d'une frontière poreuse. C'est la justice qui ne sert pas forcément le juste mais qui ploie sous le poids de l'argent et qui protège le malfrat dans une parodie de procès donnée à la taverne du coin. C'est la question de la place de la femme au travers du personnage de Govend qui se construit contre le patriarcat, contre sa fratrie, contre une chape de traditions qui la poursuivent jusque dans ce village où elle se terre.


My Sweet Pepper Land c'est l'amour simple et fragile, c'est la musique qui transcende l'espace et cristallise les émotions délicates lorsque l'institutrice frappe son Hang sous le ciel lourd et gris. C'est Presley, et Bach, et des chansons Kurdes qui se mêlent.


My Sweet Pepper Land c'est une histoire universelle, une belle histoire dans un écrin oscillant entre beauté naturelle, laideur humaine et rencontres atypiques, ces portraits d'hommes et de femmes brutes, durs, ces portraits profondément humains, assurément.

Petitbarbu
9
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le 20 juin 2016

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Petitbarbu

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