Critique contenant des spoils

Nous sommes au fin fond de l'outback australien, dans un minuscule patelin paumé dans le désert.
Jay Swann est un enfant du pays, un des rares aborigènes à avoir trouvé un métier. Mais pour cela, il a dû partir, abandonnant femme et enfant. Dix ans plus tard, le voilà de retour, devenu inspecteur de la police locale. Et comme première enquête, il doit se charger de meurtre d'une ado aborigène, retrouvée égorgée par un routier.
En menant l'enquête dans les milieux aborigènes, il apprend que la demoiselle, Julie Mason, se prostituait auprès des routiers pour pouvoir se payer de la drogue.
Mystery Road, c'est d'abord un paysage. Pas du tout un paysage de carte postale, il faut bien l'avouer : le cadrage est impeccable, c'est la réalité qui n'est pas belle. Nous sommes dans un village perdu, avec des habitants perdus. Un de ces patelins désertés par tout, y compris par l'espoir. Où ceux qui restent, ce sont les paumés, ceux qui n'ont aucune possibilité de partir.
On sent bien que l'insistance permanente du cinéaste sur le décor n'a pas seulement un enjeu esthétique. Il s'agit de placer l'histoire et les personnages dans un lieu. Car ce lieu influe sur les caractères.

Mystery Road, c'est un film au croisement de Lone Star (de John Sayles) et du cinéma des frères Coen (l'humour en moins). Les frères Coen, parce que les personnages sont "des gens du terroir", sont implantés dans un lieu, avec leur accent incompréhensible, leurs coutumes, leurs haines et leur renfermement sur eux-mêmes. Et Lone Star pour l'enquête, qui va s'ancrer dans ce lieu et qui va en dévoiler toutes les horreurs.
Parmi ces horreurs, il y a le sort des aborigènes, coupés de leur terre ancestrale, obligés à vivre à l'occidentale, un peuple en déliquescence, ravagé par l'alcool et la drogue.
Jay Swann est un aborigène. Et cela a de l'influence sur le cours de son enquête. Outre le connard qui affirme, haut et fort, qu'il flingue les aborigènes qui viennent sur sa propriété, on sent, dans l'attitude générale, une méfiance envers ce peuple. Depuis le patron qui ne confie aucun moyen à Jay pour mener son enquête, jusqu'au vigile qui le surveille attentivement au magasin, tout semble indiquer que le peuple fait l'objet d'un rejet généralisé.

Le film paraît simple, mais ce n'est qu'une apparence trompeuse. Son absence de musique, son refus de toute facilité de scénario, ses cadrages très bien construits, son rythme à la fois lent et soutenu, son ambiance crépusculaire, tout concourt à en faire un très bon film policier, frôlant la limite du surnaturel. L'ombre de monstrueux chiens sauvages rôde sur le film. L'atmosphère est bien glauque, sans jamais en faire trop.
SPOIL
Ce qui est aussi intéressant, c'est l'absence d'explication finale. On ne saura jamais vraiment qui a fait quoi et pourquoi. Et le rôle pour le moins ambigu de Johnno (interprété par un Hugo Weaving difficilement reconnaissable) rajoute encore de l'intérêt.
FIN DE SPOIL
En gros, un film bien foutu, passionnant, déroutant, dramatique, très beau.
SanFelice
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Walk the streets for money et En 2014, il y a aussi quelques drames

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le 28 oct. 2014

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SanFelice

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