Napoléon
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Napoléon

Film de Abel Gance (1927)

Si ce sont les frères Lumière qui ont donné naissance au cinéma, Abel Gance est celui qui l’a baptisé, et ce, en livrant au monde en avril 1927, un immense chef d’œuvre, Napoléon.


Le petit caporal est sans aucun doute avec Jules César et Alexandre le Grand, l’homme qui a soulevé le plus de question et d’admiration. Comment un homme issu de la noblesse corse est-il devenu en quelques années le maître d’un pays comme la France et surtout de l’Europe entière ? C’est donc tout naturellement que le cinéma s’est intéressé à sa vie, à ses idéaux, au Mythe, dont les films les plus notables sont le Waterloo de Sergueï Bondarchuck, avec Rod Steiger en Napoléon et Christopher Plummer en Wellington ou encore le Napoléon de Sacha Guitry et enfin le fameux projet de Stanley Kubrick.


Abel Gance, quant à lui, avait l’ambition (démesurée?) de faire une fresque en 6 films sur l’ensemble de la vie de Napoléon, de son enfance à la restitution de ses restes à la France en 1840. Seul le premier panel nous est arrivé, c’est à dire de son enfance à la campagne d’Italie. Il faut tout de même noter qu’Abel Gance a pu réaliser un autre film sur la vie de Napoléon, Austerlitz, en 1960, soit 33 après.


Quel film, que le Napoléon vu par Abel Gance ! 332 minutes (la version restaurée par Kevin Brownlow et éditée cette année par la BFI) de pure bonheur, de maîtrise ; un chef d’œuvre total comme on en voit peu dans une vie.


Le film s’ouvre sur une bataille de boule de neige entre les écoliers du Collège de Brienne. Le jeune Napoléon et une dizaine de ses camarades doivent tenir une position retranchée contre ses adversaires. Le problème, c’est que leurs adversaires sont beaucoup plus nombreux qu’eux. Mais le jeune Napoléon, fin stratège arrive cependant à remporter la bataille. En une dizaine de minutes seulement, Abel Gance révolutionne le cinéma. Outre le montage exceptionnel, Abel Gance va utiliser des moyens peu conventionnels pour sa mise en scène : caméra à l’épaule, caméra posée sur une luge et sur une guillotine… bref une mise en scène innovante et magistrale.
C’est très simple, pendant les 5h30 du film, Abel Gance innove en permanence que ce soit la mise en scène ou le montage. Le plan en balancier durant une des scène de la Convention en est un des exemples le plus flagrant ou la superposition de 2 plans comme le montre cette image (http://hpics.li/c9b2934).
La scène de course poursuite à cheval est tout aussi magistrale. Rappelant celle d’Arwen et des Cavalier Noirs dans Le Seigneur des Anneaux : la Communauté de l’anneau (peut-être que Peter Jackson s’en est inspiré?), cette scène montre tout la maîtrise d’Abel Gance et son côté visionnaire (http://hpics.li/586d994).


La lumière et la photographie ne sont pas en reste non plus. Certains plans sont d'une beauté sidérante, me rappelant d’autres films sur la même l’époque comme Barry Lyndon de Kubrick et Les Duellistes de Ridley Scott. On se souviendra du plan de Napoléon contemplant l’horizon, rendu encore plus magnifique grâce à la restauration de Kevin Brownlow (http://hpics.li/66f671e), ou encore ce plan digne d’un tableau de Delacroix (http://hpics.li/ec65fc9).


Au niveau de la musique, Carl Davis a fait un boulot monstre. Ces compositions sont tous simplement incroyables et s’insèrent parfaitement dans le film. Outre des compositions originales, Carl Davis réinterprète certaines musiques, comme La Marseillaise et Le Chant du Départ. Carl Davis puise ses inspirations de Mozart et de Beethoven, et on ne peut demander mieux.


Enfin au niveau des interprétations, rien à dire, Albert Dieudonné est Napoléon et le joue admirablement bien. Mention spécial tout même à Antonin Artaud (Marat), Alexandre Koubitzky (Danton), Edmond van Daele (Robespierre) et Abel Gance lui-même qui joue Saint-Just, ainsi que Vladimir Roudenko qui joue le jeune Napoléon.


Napoléon n’est pas une œuvre parfaite. Outre quelques anachronismes et erreurs de raccord (musicales et visuelles), le film dispose de certaines idées naïves qui ont mal vieilli. Le plan centré sur la tête de Napoléon, avec ses yeux qui s’illuminent et des calculs mathématiques qui apparaissent, pour représenter son incroyable sens tactique, en est un de ces exemples. Le film est d’ailleurs presque un pamphlet bonapartiste, mais est-ce véritablement un défaut, puisqu’il faut restituer l’œuvre dans son contexte, période où la République se fait vieille, a atteint ses limites et où la France est sur son déclin. Le souvenir de Napoléon est toujours présent, lui qui a réussit à transmettre les idéaux républicains dans l’ensemble de l’Europe. Pour Abel Gance, Napoléon est le sauveur de la République. C’est lui qui a mis fin à la Terreur et a sauvé la France de la ruine. En un sens, Gance s’intéresse à la fois à l’homme qu’au Mythe et il arrive a lier les deux admirablement bien. Bien évidemment, on peut remettre en cause les propos de Gance, et certains trouveront dans le film une œuvre de propagande bonapartiste, mais attention à ne pas juger une œuvre avec le regard du XXI° siècle.


Abel Gance ne renie cependant pas ses convictions. En 1919, il sortait un autre de ses films majeurs, J’accuse !, où il critiquait fermement la guerre, la 1ère Guerre Mondiale dans le film, guerre à laquelle il avait participé. Dans Napoléon, Abel Gance montre à la fois les horreurs de la guerre mais aussi celles de la Terreur, avec par exemple un plan sur des têtes coupées exposées sur des piques, mais aussi celui sur des bras inertes sortant de la boue. On retiendra particulièrement celui sur Napoléon juché sur des débris lors du siège de Toulon, montrant toute la détresse de Napoléon, qui gagne la bataille mais au pris de combien de morts ? (http://hpics.li/f9e2432)


Napoléon est définitivement une œuvre à inscrire au panthéon cinématographique. C’est un chef d’œuvre qui aura marqué l’Histoire. Le triptyque finale de plus de 20 minutes en est le symbole (http://hpics.li/8744d68). Innovation hors du commun, mais aussi reflet de la démesure du projet (plusieurs milliers de figurants en tenue de soldat pour tourner les scènes finales), le triptyque conclut le film en apothéose. Rien de mieux, pour conclure, qu’une citation de Stanley Kubrick : « A masterpiece of cinematic invention » !

Rheyl
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le 12 déc. 2017

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