mai 2011:

Très plaisant au départ, l'enthousiasme s'estompe un peu vers la fin. D'abord, on est frappé par l'acuité, la férocité mais surtout l'actualité du discours. Le film dénonce une dérive de la télé américaine que l'on a connu en France un peu plus tardivement, la détérioration de son usage et des ses ambitions. Network monte comment à la fin des années 70 dans les premiers temps de la crise économique, sociale et morale est née la télévision poubelle, comment l'information réelle a laissé peu à peu place à l'information spectacle, faisant appel à l'émotion plus qu'à l'intellect. Mais cette évolution n'est que le fruit mûr et naturel de la croissance basée sur la notion de consommation.

Le personnage joué par Faye Dunaway, provenant du monde de la communication n'est pas journaliste. La réalité ne l'intéresse pas, le dollar, le succès, les fruits de la compétition lui sont beaucoup plus attrayants. Réalité et profondeur des sujets comme des sentiments semblent lui échapper. Inaccessibles. Comme elle dit : "je ne sais pas comment faire". Nous ne sommes plus à l'aube d'une société ultra individualiste, mais en plein cœur.

Quand le grand patron de la chaîne télévisée (Ned Beatty) évoque le monde tel qu'il le conçoit à Peter Finch, il ne fait que décrire la mondialisation, mais il le fait avec une fièvre et une exaltation aussi délirantes que celle du prophète auquel il s'adresse : scène hallucinante où deux mabouls discutent du monde dans lequel ils croient vivre.

Le film pousse la logique jusqu'à l'absurde. Un peu trop caricatural à la toute fin, quand des patrons de media discutent librement, simplement de l'assassinat d'un pion gênant. Le cynisme des personnages les dépeint si dépersonnalisés que leur folie apparait démesurée et presque irréelle, alors que ce que craignait alors Sidney Lumet a réellement lieu. La trash-TV, la téléréalité, TF1, jouent avec des concepts ancrés dans une réalité d'apparat, en fait totalement déshumanisés où la profondeur d'âme n'a strictement aucune audience, seul le "temps de cerveau disponible" constitue un intérêt. Pas de sentiment, pas d'amour, pas de respect, seul les parts de marché comptent.

Il y a quelque chose dans l'horloge du monde des hommes qui ne tourne pas rond. Le film est comme un mauvais augure, un compte à rebours que les gens ne veulent pas voir, ni entendre. Profitons du vide de nos vies avant de mourir. Cynisme et nihilisme. La quête de sens ne fait pas le poids devant le dieu dollar. La démonstration est ici d'une éloquence jusqu'au boutiste et échappe de peu à l'analyse fine et pesée. Dommage que la caricature prenne le dessus sur le fond à la fin du film.

Peut-être que le scénario très explicatif et discursif, fait de monologues qui se répondent sans trop s'écouter (m'enfin, dans un monde d'individualisme forcené, c'est bien obligé), fait apparaitre le film comme un truc artificiel en fin de compte.

Le jeu parfois trop outrancier de Faye Dunaway précipite-t-il quelque peu cette sensation? Possible. William Holden par contre réussit à rester un peu plus mesuré. Il est vrai que le personnage hystérique de "nymphomane de l'audimat" que joue l'actrice peut l'inviter à pareille montées orgasmiques.

Même s'il en fait un peu trop, le film demeure une diatribe puissante, les traits portent avec force.
Alligator
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le 18 avr. 2013

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Alligator

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