C’est durant la première année où l’émission « 30 Millions d’amis » sur TF1 et « Cinéma de Minuit » de FR3 ont été diffusé, que Sidney Lumet livre au public sa forte critique sur l’univers télévisé. J’ai lu çà et là, sur le site, que le film en devenait précurseur sur les ravages de la télé, ce dont je ne suis pas d’accord : dès ses débuts, la population pouvait avoir conscience de ses dérives. La preuve en une chanson : « La Complainte de la télé », de Léo Ferré, datant de 1966. Nul doute cependant que, depuis, ce secteur médiatique a rencontré des abysses d’indignité à l'époque insoupçonnés, nul doute qu’il leur reste encore beaucoup de culs à vendre avant leur lente désintégration. Du coup, tout le monde le sait, que la télévision a des coulisses bien plus écœurantes que leurs propositions, qui elles varient leur qualité tout de même. Ce qui m’a profondément déplu dans ce film, c’est à quel point le scénario comme la mise en scène en font des caisses là-dessus. La femme qui parle littéralement non-stop de son programme alors qu’elle est en week-end avec son amant. Le « prophète fou » qui tombe pour une seconde fois (personne du corpus médical n’a voulu réagir, de derrière son écran, devant cet homme visiblement en détresse ?). Et surtout cette fin, où on abandonne même la crédibilité pour mettre les mains en plein dans le surréalisme. Si cela avait été un style impliqué dès le départ, je n’aurai pas dit non à un traitement à la fois fantasque et morbide. Mais comme, entre ces séquences, nous nous retrouvons devant des scènes très sérieuses, parlant business en permanence (en surlignant à mort l’inhumanité de tous les personnages sauf le repenti, bien évidemment...), cela produit davantage des contrastes grossiers qu’un effet pertinent. OK, ça marque les esprits, j’ai toujours en tête les missives du présentateur suicidaire par exemple, et ça joue dans ma note… Mais ça m’a marqué comme une œuvre ayant tenté, involontairement, de me faire du bourrage de crâne anti-télé. Je n’ai même pas de problème contre ça, « Superstar » de Xavier Gianolli est dans la même visée, mais lui ne met pas en scène une population aux balcons répétant une phrase aussi banale que « J’en ai ras le bol » … Quant à la romance entre le présentateur repenti, vraiment montré comme l’homme revenu d’entre les morts, et la jeune présentatrice hyper ambitieuse (car ayant grandi avec la télé et ne sait pas comment vivre sans, bien évidemment), ce n’est tout simplement pas crédible. C’est dommage, parce qu’à côté, les dialogues du film (recelant même quelques monologues) sont très bien sentis, écrits avec élégance et intelligence, contrastant violemment avec la mise en image des idées. Mais c’est davantage du côté du casting, portant justement ces superbes séquences juste dialoguées, avec des bras de Warriors : Robert Duvall impérial comme d’hab, Peter Finch en faux protagoniste a su se muer progressivement en gourou populiste, William Holden est charismatique, et surtout Fane Dunaway, qui emporte sa partition vers la profondeur que le personnage n’avait pas de base, et lui donne finalement un caractère de véritable Impératrice. Même lorsque ça gueule hystériquement, c’est essentiellement grâce à eux que le film tient. Mais cela tient également au Sound-Design, très inspiré et sachant donner la valeur des silences (surtout durant les sermons), et à la justesse pudique de la photographie, là aussi contrastant vachement avec une mise en image qui surenchérit jusqu’au hurlement final.
Pour résumer mon avis : cela aurait pu être un gratin dauphinois, mais à force de gratter, sa saveur se noie, tourne le dos, et il nous apparait davantage comme un repas salé que savoureux. J’ai bien tout compris, tout lu, mais…

Billy98
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le 15 avr. 2020

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Billy98

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