J'ai retrouvé dans la première partie de Night moves tout ce qui m'agaçait dans les précédents films de Kelly Reichardt (Old Joy, La Dernière piste): un découpage qui privilégie les moments creux, un récit qui avance à une lenteur exaspérante, en refusant tout élément d'explication, des cadrages rigoureux qui inscrivent les personnages dans les paysages, mais ne veulent rien céder à la contemplation, au lyrisme, bref, une caricature de film d'auteur indépendant américain.
Je me suis donc endormi pendant cinq minutes (dix?) et je me réveille au moment où les trois personnages accomplissent enfin l'attentat dont on nous a minutieusement exposé les préparatifs: ils sont dans un pick-up, il fait nuit, une déflagration se fait entendre. Et c'est tout.
Commence alors la deuxième partie de Night moves et je dois dire qu'elle m'a beaucoup plu: d'abord parce qu'en resserrant le récit sur un personnage, Josh (Jesse Eisenberg), Kelly Reichardt creuse la question politique de son film. La communauté écolo pour laquelle Josh a agi ne se reconnaît pas dans son acte, s'en désolidarise: son idéal se résume finalement à vendre des légumes bios sur des marchés.
Josh apparaît alors comme un héros sans grandeur: non seulement la valeur de son acte n'est pas reconnue (mais cet acte avait-il un sens?), mais l' acte en question engage aussi sa responsabilité. Bien que le film amène assez lourdement les conséquences de l'attentat (on apprend qu'un campeur est mort après l'effondrement du barrage), Kelly Reichardt parvient à nous faire appréhender, par la bande-son, par la photographie, par des plans de plus en plus subjectifs (jusqu'au dernier où le réel se déforme littéralement dans un miroir), l'envers paranoïaque du gentil petit film militant diffusé dans la première partie. Et elle accepte enfin les lois du thriller, ce qui situe Night moves du côté de Blood simple des frères Coen, ou de certains films de Carpenter.
Josh, l'idéaliste un peu terne du début, est devenu un personnage à la fois terrorisé et terrifiant. En se tenant au plus près de cette terreur, Night moves prend alors une tout autre ampleur: de la petite caricature de film indépendant, il ne reste rien à la fin. Un autre film s'est levé et il est beau.
chester_d
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le 29 avr. 2014

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