La bourgeoise Neon Demon trente ans après

Retour au cinéma pour Tom Ford huit ans après A Single Man. Ce second long-métrage confirme la légitimité du styliste derrière la caméra. Nocturnal Animals est lourd, sophistiqué et encore plus désabusé. Il s'équipe en gadgets narratifs et en dialogues pour passer son propos. Un double et même bientôt triple récit s'organise autour de Susan Marrow (par Amy Adams, aux avants-postes de Premier contact au même moment). La séance est une succession de va-et-vient entre le présent centré sur Susan, le passé lorsqu'elle formait un couple avec Edward et une fiction écrite par ce dernier.


Cette histoire parallèle absorbe l'essentiel et c'est tant mieux : ce qui est bon et intense dans le film s'y trouve. Les tracas de Susan sont trop courts et c'est justement là où la tendance à la démonstration touche ses limites. Lorsqu'il s'achève, Nocturnal Animals apparaît limpide et même assez minimaliste par ce qu'il raconte. Il esquisse des sentiments profonds sans avoir l'espace pour les analyser, mais aussi sans être mou ou complaisant envers eux. Les sursauts de pudeur ou de tendresse sont des rappels, des retours à soi, plutôt que des anomalies ou des surprises dans un parcours. À la fin d'A Single Man le prof reconnaissait sa place et lâchait son pouvoir, conscient peut-être qu'au stade où il en était il ne pourrait que tomber dans l'abus ou prendre des claques.


Nocturnal Animals s'intéresse plus explicitement aux débuts du pourrissement, contre-coup de la maturité trop bien digérée, au point de désarmer face à la mélancolie (qui a pu couver). Lorsque les choix anciens et surtout opérés par soi contre soi engendrent, sans signes avant-coureur [repérés – car la mémoire et la conscience sont sélectives], un enfermement – et l'humiliation ultime, secrète, de ce qu'on est, de nos espérances et de nos besoins. Nous sommes trente ans après Neon Demon. Ce surgissement de l'abîme 'intime', malgré une position au sommet, socialement ou financièrement parlant, rappelle les dernières saisons de Nip/Tuck (d'un expert de la dégénérescence chic ou glamour, également responsable d'American Horror Story).


Puis c'est surtout l'histoire d'une revanche explicite, où un rêveur châtré par le cynisme et le conformisme trouve enfin sinon la réussite, au moins une preuve de victoire et donc des bénéfices à ses frustrations ; c'est l'artiste qui ne prend pas le train de 'la vie', manque 'd'ambition' (c'est-à-dire ne sait pas ou n'arrive pas à se soumettre ou pas là où ça paye, sécurise et valorise) ; alors que la nantie avertie, mais finalement sans grande volonté et pas plus vertébrée qu'une autre, s'effondre. Le prix de ce débouché n'est pas connu concernant Edward, qui a peut-être la petite marge permettant de se draper dans sa dignité mais pas nécessairement d'aisance ni de succès. Quand le film marche sur les terres du rape and revenge et sur la fin du vigilante, il n'est pas un héros à la hauteur – son impuissance le poursuit, il manque de force et doit s'épuiser pour la nier quelques instants.


Michael Shannon n'est pas très crédible dans son costume lui aussi, mais cette fois au niveau de l'acteur. D'autres approximations sont à noter, mais pas assez marquées pour être qualifiées de fausses notes, ce sont plutôt des imitations de mondes lointains au pire, des détournements au mieux. Tom Ford saisit les occasions d'afficher de la semi-nudité, voire les force (Ray Marcus sur son trône public reste tout de même défendable, après tout il s'agit d'un psychopathe dans le désert). Les passages rapides dans monde de la mode et des affaires sont plutôt à charge, soulignent la distance spontanée voire le dégoût placide qu'a développé à leur égard Susan – mais en bonne personne au statut remarquable, elle s'accommode (l'appel à l'absurdisme amorphe par son frère gay est l'expression consciente et égocentrique de cet état). Le générique grotesque et quelques signaux débraillés épicent ce morne plateau.


https://zogarok.wordpress.com/2017/02/11/nocturnal-animals/

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le 11 févr. 2017

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