Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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Un temps pressenti pour réaliser le remake de Robocop puis rattaché à The Wolverine pour lequel il jettera l’éponge, Darren Aronofsky revient aujourd’hui sur le devant de la scène près de quatre ans après avoir offert l’Oscar de la meilleure actrice à Natalie Portman pour le très bon Black Swan. Mais il revient avec un projet aussi intéressant, vu son talent de metteur en scène, que casse-gueule : raconter l’histoire de Noé et de son Arche en se basant autant sur le texte biblique que sur l’adaptation qu’il en avait fait lui-même en bande dessinée avec le dessinateur Niko Henrichon.

Pour un résultat bancal. Mais pouvait-il en être autrement ?

On ne va pas vous faire l’affront de revenir longuement sur l’histoire de Noé telle qu’elle est décrite dans trois chapitres de la Genèse. Texte religieux devenu « un classique » par la force des choses, on le retrouve dans plusieurs religions et il a souvent été adapté – mais rarement de manière sérieuse et crédible. Aronofsky s’en est emparé pour (tenter de) livrer une histoire à la fois contemporaine et universelle, s’obligeant à la modifier pour en faire un film. Le texte original est en effet trop peu précis, et il était nécessaire de broder pour arriver à quelque chose de montrable à l’écran.

Noé est toujours le descendant de Mathusalem, lui-même descendant d’Abel – le « bon » fils d’Adam. Nous sommes dans un univers où les « méchants » sont les descendants de Caïn. Ils envahissent le monde, construisent, industrialisent, ravagent et ne laissent pas grand chose sur leur route. Noé est donc le dernier de la branche « gentille » des premiers hommes et il tente de survivre avec sa famille, loin du monde. Il va s’allier avec les Veilleurs, des anges déchus devenus des sortes de golems de pierre pour construire une Arche suite à une série de visions. La fin du monde viendra des eaux et Noé compte bien sauver les méritants, à savoir sa famille et les animaux rejoignant le bateau (on voit d’ailleurs dans le film des races animales inconnues, qui n’ont donc pas survécu).

Le film commence donc comme une quête et se rapproche, de par sa construire et ses archétypes, d’un récit de fantasy. La rencontre avec les élémentaux de pierre puis avec Mathusalem, croisement entre Yoda et l’oncle Iroh, ne feront que renforcer cette sensation. Il faut dire qu’Aronofsky en rajoute une couche en prenant bien soin, pendant près de deux heures, de faire un récit se voulant universel et ne mentionnant donc jamais le nom de Dieu -appelé le Créateur. Il rajoute également un personnage, celui incarné par Emma Watson, cherchant à densifier son récit. L’idée est en effet d’avoir quelque chose à raconter une fois que Noé et sa famille aurait embarqué. La question la plus évidente à aborder était alors tout naturellement celle de la descendance. En cherchant à rester « logique et réaliste », on a bien du mal à imaginer Noé, sa femme et ses trois fils être les derniers survivants de la race humaine et ceux qui s’apprêtent à la recontruire. En faisant comment ? Et bien, Aronofsky répond à la question en ajoutant une femme d’un autre sang à bord de l’Arche. Si ça choquera les puristes, l’idée a le mérite d’apporter une réflexion et surtout de remplir une histoire dont le deuxième acte aurait pu être bien vide.

Filmé par un Aronofksy inspiré autant par les grands espaces islandais que la proximité avec ses acteurs, porté par des comédiens plus ou moins motivés (Russell Crowe et Emma Watson sont très bons, Jennifer Connely semble s’ennuyer ferme) Noé déborde donc de bonnes idées mais ne peut s’empêcher de se prendre les pieds dans le tapis. Ainsi, de nombreux flashbacks -notamment sur Adam et Eve- viennent ponctuer le récit, mais via des choix graphiques absolument affreux. Ces séquences d’une laideur repoussante parviennent même à vous sortir de l’histoire tant les visuels sont moches.
En matière de visuels d’ailleurs, certains choix sont très étranges comme les costumes faits à partir de matières anciennes mais utilisant des coupes modernes. Longs manteaux boutonnés, vestes à capuches, armures de cuirs et boucliers en tôle ondulé sont portés par des gens censés vivre il y a plusieurs milliers d’années. On comprend l’idée de base : celle de montrer une civilisation plus avancée qu’on aurait pu l’imaginer, finalement assez proche de la nôtre, mais l’imaginaire collectif autour de l’histoire de l’Arche est tel qu’on a bien du mal à accepter ces choix.

Le souci d’universalité et même de filiation voulu par Aronofsky est bien trouvé mais le réalisateur ne peut s’empêcher de revenir quand même régulièrement à la Bible, calant donc dans son récit des choses qui paraissent incongrues dans l’univers tel qu’il est visible au cinéma (comment notamment la scène de la colombe et du rameau d’olivier). Il peine également à conclure le récit en tenant à y caler des scènes une fois la terre retrouvée. Certes ces passages mettant en scène ce qui est advenu du héros de l’histoire sont dans le texte religieux mais, là aussi, ils ont bien du mal à trouver leur place.

Porté par un Clint Mansell en très grande forme, ce Noé est donc un film bancal partagé entre volonté de faire quelque chose d’accessible au plus grand nombre et impossibilité de se détacher de la source, tout en voulant ajouter des éléments au récit. Bien qu’arrivan à bon port, l’Arche donc prend l’eau en route. Et son réalisateur manque de boire la tasse.
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le 2 avr. 2014

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