Survivre en Amérique au XXIe siècle

Initialement prévu pour le 30 décembre 2020, c'est finalement 6 mois plus tard que nous aurons enfin pu voir le très attendu Nomadland.
Multi-récompensée, notamment par un prestigieux Oscar du meilleur film 2021, l'œuvre de la jeune (et quelque peu inconnue) Chloé Zhao est une parfaite excuse (s'il en fallait une) pour retourner dans les salles obscures.


Empire, dans l'Etat du Nevada, est une petite localité qui ne doit son existence qu'à une chose: la production de plâtre (elle même liée à l'exploitation, non loin de là, du Gypse). L'usine locale fait littéralement vivre 100% des habitants de cette cité ouvrière, aussi, lorsqu'en 2011, le cours du plâtre s'effondre provoquant la fermeture du lieu de production, Empire perd sa raison d'être. En quelques mois, elle devient une ville fantôme vidée de ses habitants et son code postal en vient même à être supprimé!
Dans ce contexte pour le moins sombre, Fern, la soixantaine, qui avait construit toute sa vie à cet endroit, veuve depuis peu, désargentée et sans perspective, se décide elle aussi à plier bagage et se retrouve seule à bord de son van, sur les routes sans fin du sud des Etats-Unis.


C'est ainsi que s'ouvre Nomadland, un film qui nous parle d'une face des USA bien loin du rêve américain. On sait que c'est un pays aux fortes disparités sociales, mais la misère ne se concentre pas que dans les ghettos des grandes villes. Elle touche également des catégories de populations précaires, qui n'ont pas toujours été paupérisées, mais qui sont particulièrement exposées aux aléas économiques. D'une certaine manière, et à une échelle plus modeste, le film fait une sorte de parallèle avec la crise de 1929 qui avait jeté sur les routes des millions de nouveaux pauvres.
Dans Nomadland, Fern va vite rencontrer d'autres gens comme elles, des gens qui n'ont que leur véhicule: une camionnette, un van, une caravane pour les mieux lotis...un tas de ferraille qui leur permet pourtant, comme le dit Fern elle-même, de ne pas devenir "homeless" mais juste "houseless".
Comme elle, des milliers d'américains survivent au gré des saisons et des opportunités (travail dans un camping en été, récolte de betteraves en automne, entrepôts Amazon pendant les fêtes...). Tout ça dans un seul but: pouvoir manger et entretenir leur véhicule, leur bien le plus précieux.


Si le sujet n'est évidemment pas très joyeux, le film ne fait pas dans le misérabilisme pour autant. Malgré la précarité financière, matérielle et sanitaire, Fern et ses semblables ont aussi des moments heureux, faits de solidarité, d'entraide et de compassion les uns envers les autres. Car derrière, il y a presque toujours des gens déchirés et dont tout le monde se fout, des gens qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes et une poignée de personnes qui traversent une situation similaire.


On se souvient qu'Into the Wild pour ne citer que lui, avait abordé le sujet de ces américains blancs, qui avaient fait le choix d'une "vie de bohème" par conviction. Ce n'est pas le cas de Nomadland, où les protagonistes ont souvent connu une vie "classique" (s'entend, sédentaire) auparavant avant de se retrouver sur la route par obligation. Le film nous montre aussi à quel point ce mode de vie en marge de la société constitue souvent un point de non retour pour beaucoup de "nomades", qui se retrouveront définitivement "inadaptés" et en décalage complet avec les gens "normaux".


Nomadland, est aussi une expérience sensorielle fascinante. Les incroyables paysages semi-désertiques du Nevada, du Nebraska ou du Dakota du Sud, souvent filmés au petit matin ou au crépuscule, sont sublimés par une photographie remarquable et par les compositions de Ludovico Einaudi. On ne saurait donc que conseiller de voir le film au cinéma.


Basé sur le livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century de Jessica Bruder, le film de Chloé Zhao aurait peut-être gagné à conserver ce sous-titre évocateur.
Nomadland nous parle de ces américains "qui ne sont rien" (pour reprendre l'expression de vous savez qui), ces américains que personne n'a envie de voir parce qu'ils nous montrent une facette de l'Amérique loin des strass et des paillettes, des dollars qui coulent à flot et des gratte-ciels. L'Amérique des petites gens, celles victimes d'un système profondément inégalitaire et individualiste, qui ne sont chez elles que sur la route.
Porté par une Frances McDormand dans un de ses meilleurs rôles et par des seconds rôles souvent émouvants, Nomadland est un beau film, dans tous les sens du terme et sans aucun doute, un des must-see de 2021.

billyjoe
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le 30 juin 2021

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Billy Joe

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