Nord
6.7
Nord

Film de Xavier Beauvois (1992)

Son court Le Matou (1986) mis à part, Beauvois commence à travailler en tant qu'assistant-réalisateur pour Téchiné, sur Les Innocents (1987). Trois ans plus tard, à seulement 23 ans, il dirige son premier film, Nord, en écho à ses origines dans la région Nord-Pas-de-Calais. Le film tient à la fois du témoignage et de la pure fiction ; sa tendance est à l'extrapolation 'minimaliste', à la surenchère. Beauvois dresse un tableau sordide, avec cette famille déglinguée, peinant à communiquer et à vivre autrement que dans la confusion et la médiocrité. Le père, complètement délabré, est la principale raison de cet échec. Les échanges de Bertrand avec ses géniteurs sont rares et peu productifs : la damnation semble nécessaire à son père pour ouvrir le dialogue, ce qui conduit à un dénouement percutant.


Beauvois a plusieurs fois évoqué ses origines et les perspectives d'aliénation qui le guettaient jusqu'à son départ pour Paris. Il a été arraché à ce 'destin' par le cinéma, son milieu et ses défis ; c'est un autodidacte qui s'est nourri de ses voyages et surtout de ses rencontres : il est acteur pour de nombreux auteurs français, très divers ; et dès son premier film, il reçoit des soutiens de poids (ici celui de Dominique Besnehard). Il est donc totalement absorbé par la profession sans passer par les circuits académiques ; et sans sacrifier son style, ses vues d'auteur. Le risque avec cette liberté et cette confiance, c'est de se contenter de 'peu' et de cultiver les angles morts. Et en effet Nord pêche à la fois par ses excès et par ses manques. L'inceste y déboule comme par magie, s'ajoutant à des bouffées (lapidaires mais violentes) de dégueulasserie gratuite.


Le film de Beauvois dégouline d'investissement personnel, charnel, mais sa placidité est plus significative. Sur la gueuserie ch'ti, Beauvois ne dit rien ; et pour cette famille, il caresse des intuitions, des profils, sans aller au-dedans, préférant recourir à la moquerie passive. C'est le cas notamment au départ, où se succèdent des plans-séquences à la maison : ils sont donnés en pâture, on somnole avec eux. Le point de vue depuis la télé qu'ils écoutent est assassin, autant que puéril et pompeux. La nervosité monte graduellement, toujours étouffée cependant ; Bertrand/Beauvois souffre d'un état de claustration psychique tellement profond que toutes les lourdeurs du monde ne semblent en mesure de l'expliciter ; d'ailleurs, à ce stade, ce n'est plus triste ni mal, ni rien de très fort. N'oublie pas que tu vas mourir bouclera ce mauvais trip, ensuite Beauvois s'illustrera avec Selon Matthieu, Le petit lieutenant puis Des hommes et des dieux.


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le 16 janv. 2016

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Zogarok

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