Plus qu'un remake, le Nosferatu de Werner Herzog est avant tout un formidable hommage au film de Murnau, dont il a l'intelligence de se démarquer d'emblée, pour mieux se jeter dans un pan entier laissé vide par son prédécesseur muet : l'atmosphère sonore.

Sur ce plan, indépendamment des autres – et notamment d'une photographie aux éclairages de théâtre d'une beauté à couper le souffle : ces bleus hantés, cette arrivée du vampire du fond du couloir comme des plus épaisses ténèbres –, le réalisateur allemand réussit un véritable coup de maître, des insoutenables dissonances du générique à l'utilisation du prélude de l'Or du Rhin de Wagner à l'approche du château.

Mais bien autant que la musique, qui reste somme toute assez rare, la bande son possède un potentiel d'attraction-effroi dans la lignée de la Wolfsschlucht romantique – le simple chuintement du vent sous les portes, ce loup qui hurle à la mort, ces silences pesants que viennent seulement rompre quelques bruissements d'ordinaire inaudibles.

Surtout, Herzog présente à notre sens la vision du vampire la plus bouleversante d'humanité, grâce à l'incroyable économie de moyens d'un Klaus Kinski dont le visage traduit tour à tour, et, mieux encore, parfois simultanément, un véritable nuancier de sentiments. Ce vampire dépressif, implorant, usé, touche par son infinie vulnérabilité, sa douceur, par une élocution allemande qui est à elle seule l'incarnation de la poésie, enfin par son rapport quasi incestueux avec Lucy, dont il tète le cou tel un nourrisson le sein de sa mère.

Bien au-delà du divertissement trop souvent associé aux suceurs de sang, pour ne rien dire des délires phéromono-pubertaires de Twilight, Herzog puise son substrat dramatique non dans les effets cinématographiques mais dans les références de la culture historique.

D'où l'énergie du désespoir de ce banquet sur la place de l'hôtel de ville de Bruges, à la manière d'une orgie en éclats de rire au milieu des rats et des cadavres, qui évoque Brueghel, d'où aussi ce Renfield au rire d'attardé, écho du Yurodivi de la culture russe, ce fol en Christ respecté des Tsars pour ces éclairs de lucidité, et de l'Idiot du Woyzeck de Büchner – que le cinéaste réalisait parallèlement, la même année 1979 –, avec ce que cela implique de mélange d'enfantin et de sacré.

Ceux qui ne fréquentent le jeu d'acteurs qu'à travers le cinéma – soit une immense majorité du jeune public des salles obscures aujourd'hui – seront peut-être gênés par un parti-pris théâtral porté vers l'exaltation, notamment en contraste d'une lenteur très habitée. Un chef-d'œuvre exigeant et certainement pas exempt de défauts que ce Nosferatu, mais un chef-d'œuvre assurément.
Yanhic
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le 3 juil. 2011

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