J'avais très peur au début.
La séquence d'ouverture m'a fait très peur. Montage alterné avec
- d'un côté un jeune homme en habit de la Grande Dépression marchant au bord de la plage vers une baraque où une voix de winner égrène les règles d'un marathon de danse.
- de l'autre le flashback idéalisé (au ralenti, comme il se doit) d'un jeune garçon avec son père courant dans les prés après un cheval. Le cheval se casse la jambe : le père ferme les yeux et l'abat.
C'était le pathos dans lequel Pollack tombe bien trop facilement, et j'avais peur d'un symbolisme lourdingue, du coup j'avais remis le visionnage à plus tard. J'ai bien fait de surmonter cette mauvaise première impression.
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Un marathon de danse, donc. Une jeune femme, Gloria (Jane Fonda), prend comme partenaire Robert (Michael Sarrazin, le "héros"). Face à eux, d'autres paumés : une jeune atrice élégante, Alice (Sussannah York) ; un marin vétéran de la 1eGM et des marathons (Red Buttons), une femme enceinte, etc... Il y a des pauses de 10 mn. toutes les 2 h, pendant lesquels on peut manger à volonté, dormir, se laver. Si les deux genoux touchent terre, on est disqualifié. Une équipe médicale au rabais assure un simulacre de contrôle. Mais l'organisateur, Rocky, un vrai winner américain (Gig Young, mémorable), veille surtout à entretenir le show pour le public. Car les gens ne viennent pas assister à un concours, mais faire les voyeurs devant la misère humaine de ces candidats. Pour en éliminer, on met périodiquement en place des "derbys" où ils courent en short pendant 10 mn. au bout desquelles les 3 derniers couples sont éliminés. Rocky parle toujours avec beaucoup de noblesse des perdants. Mais il vole la belle robe d'Alice (son identité féminine), qu'il juge déplacée. Gloria et Robert se séparent, puis se retrouvent après la mort du marin et le craquage d'Alice, devenue complétement folle. Rocky essaie de les persuader de se marier pour faire du show, puis leur avoue que les vainqueurs devront participer aux frais. Robert et Gloria décident de quitter la compétition. Gloria, qui a volé le révolver de Rocky, demande à Robert de la tuer, ce qu'il fait. On comprend dès lors les flash-forward qui montraient régulièrement Robert devant un tribunal. Sa défense : "On achève bien les chevaux".
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Ce qui aurait pu être un vrai naufrage se révèle un de ces films chocs comme savait en faire le Nouvel Hollywood avant l'âge des blockbusters des années 1980. On joue sur la mauvaise conscience du spectateur, qui est mis sur le même plan que le public veule du marathon, puisqu'il veut savoir la suite de ce jeu de massacre, et se prend à la fin un bon gros final pas joyeux. Le tout sur fond de standards "feel-good" des années 1930 (je ne pense pas réécouter "By the sea" de la même manière désormais).
L'image reste belle, avec des dominantes de marron et de vert d'autant plus frappantes qu'à l'extérieur, dont les participants sont privés, on trouve les belles plages de Californie. Surtout, la direction d'acteurs est impeccable (je ne reconnaissais pas Fonda au début, et S. York a parfois des airs de Mélanie Griffith), et le film sait éviter une narration trop mécanique en brisant le rythme avec des ellipses, des coupes ou des scènes dramatiques culottées, tantôt condensées, tantôt étirées, avec le même savoir-faire que le sinistre et démagogique Rocky. Mais lui veut montrer l'envers des Etats-Unis, donc je dis oui, d'autant que ce film, assez rentre-dedans, est plutôt gonflé. Il montre par exemple des vedettes hollywoodiennes montrer leur binette pour attirer du public.
De loin mon Pollack préféré à ce jour.