Dans On achève bien les chevaux on danse jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la transe non-extatique dans une souffrance inouïe, jusqu’à l’abandon de toute dignité qui réduira les individus à des fragments de numéros sur lesquels on parie. C’est l’absolutisme des résistances du corps, ou bien de l’âme : lequel des deux lâchera en premier, donné en spectacle à la cruauté d’un public voulant se divertir de lui-même, sortir de sa propre misère dans la contemplation expiatoire de celle des autres. Car comme le rectifie Gid Young au milieu du film, il ne s’agit pas là d’un concours de danse, mais bien d'un spectacle. Aucun enjeu, si ce n’est de voir l’homme s’effondrer, s’autodétruire dans des mouvements répétés, muscles crispés comme des lames qui scient les jambes et paralysent le cœur.


Stravinsky avait sous-titré Le sacre du printemps : « Tableaux de la Russie païenne en deux parties », ici l’on pourrait dire : Tableau d’une Amérique de la Grande dépression en une seule mise à mort. Et il y a de l’insupportable, dans la théâtralisation malsaine d’une désillusion sans issue, tenu en un accord de piano qui s’essouffle dans un film rythmé par les hystéries morbides d’un jazz aliéné. On danse donc, jusqu’à s’écrouler, jusqu’à s’écrouer, à la folie, à en mourir. Comme si l’adhésion au programme était déjà un suicide collectif. Danser pendant 4 semaines d’affilées, à coup de 10min de pause, à manger debout, en dansant, à faire semblant de se laver, en dansant. Ce n’est pas que Jane Fonda ni résistera pas, c’est que dès lors qu’elle rentrera dans cette salle de bal dégueulasse, elle espère que l’on ôtera pour elle le geste de sa mort. Qu’il sera noyé dans une globalité, parmi les autres, eux aussi miséreux, croyant concourir pour les 1500 pauvres dollars promis au couple de vainqueurs. Elle choisira par hasard son cavalier pour pouvoir participer, Michael Sarrazin, figure effacée sans passé ni avenir, morne comme l’océan qu’il aime a contempler, et subit sa vie en ne refusant rien, se laissant entrainé extérieur aux passions qui défoulent le cœurs des Hommes, comme un personnage Camusien (qui finira comme Joseph K dans Le Procès de Kafka).


Terrifiant de réalisme, On achève bien les chevaux se fait miroir d’une société en crise, société des Hommes qui encore aujourd’hui cherche à se dédouaner du poids de sa propre médiocrité en se fascinant de la souffrance des autres. Pas une seule cigarette je crois et pourtant, dans ce hangar renfermé, l’on peut encore sentir l’odeur de clope en regardant tout le monde se consumer de l’intérieur.

De_Lautréamont
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le 22 janv. 2021

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